Le Journal de Montreal - Weekend

« AU QUÉBEC, ON NE S’INTÉRESSE PAS AU GRAND NORD »

- MARIE-FRANCE BORNAIS — MICHEL JEAN

Après avoir connu un succès internatio­nal avec Kukum ,qui raconte la vie mouvementé­e de son arrière-grand-mère innue Almanda, l’écrivain à succès Michel Jean invite ses lecteurs à le suivre dans une enquête palpitante se déroulant au Nunavik. Qimmik, un roman-choc, qui ne laissera personne indifféren­t, raconte par le biais de la fiction, une tragédie malheureus­ement réelle et dont on a peu parlé. Celle de la mise à mort de milliers de chiens nordiques dans le Nunavik il y a quelques décennies.

Roman-vérité, Qimmik se déroule au coeur d’un territoire majestueux que Michel Jean décrit avec des mots chargés d’un grand pouvoir d’évocation. Entre la taïga et la toundra, un jeune couple inuit du Nunavik, Saullu et Ulaajuk, apprend à s’aimer. Avec leurs chiens, ils parcourent un continent encore sauvage.

Quelques dizaines d’années plus tard, un drame survient dans le Nord du Québec. Une jeune avocate est dépêchée sur la Côte-Nord pour défendre un Inuk accusé d’avoir tué deux anciens policiers de la Sûreté du Québec. Sa quête de justice l’emmènera bien au-delà de tout ce qu’elle avait pu imaginer.

Le Nunavik. Un territoire du Nord que le Sud connaît peu. Et dont on n’entend pas beaucoup parler. Un territoire et une histoire qui a touché l’écrivain droit au coeur.

« Au Québec, on ne s’intéresse pas au Grand Nord, commente-t-il en entrevue, entre deux tournées à l’étranger. Souvent, les gens ont l’impression que le Grand Nord, ça ne les concerne pas non plus. Et souvent, quand j’entends parler des problèmes des autochtone­s, les gens disent… ah… c’est les Anglais. C’est Ottawa qui a fait la Loi sur les Indiens. »

« C’est Ottawa qui a fait les pensionnat­s, poursuit-il. Mais les Inuits ne sont pas sous la responsabi­lité du gouverneme­nt fédéral. Ils sont des citoyens du Québec comme les autres et ils ont les mêmes problèmes. »

« Leur histoire à eux – leur traumatism­e –, c’est le massacre des chiens nordiques. Personne, ou à peu près, au Québec, en entend parler. On ne sait pas grand-chose de ça. Je trouvais que c’est une partie de l’histoire du Québec que je trouve importante et c’est celle que j’ai racontée à travers le livre. »

Il a donc raconté ce qui s’est passé, et de quelle façon ces événements ont créé un impact sur les population­s inuites… jusqu’à aujourd’hui.

« Les problèmes qu’ils ont viennent beaucoup de là. Nous, ça a été les pensionnat­s, eux, c’est ça. C’est “made in Québec”, cette crise-là, et je voulais vraiment la raconter aux gens. »

« Je l’ai fait à travers un roman où on ne fait la morale à personne, on ne blâme pas personne. On fait juste exposer ce qui s’est passé. Après, je laisse les gens se faire leur propre idée. »

DANS LES ANNÉES 50, 60, 70

Michel Jean ajoute que cette histoire le révolte personnell­ement.

« Ça ne date pas de 1800. C’est arrivé dans les années 50, 60, 70. »

Les Inuits, qui vivaient en clans au bord de la mer, ont alors été regroupés de force dans une dizaine de villages.

« Un chasseur inuit, ça vient avec 10-12 chiens. C’est comme un ours : ça a besoin d’un grand territoire pour avoir assez de nourriture autour pour chasser et faire vivre sa famille. Mais là, ils n’avaient pas tout ça autour. Ils n’avaient pas de bouffe. Donc les Inuits partaient. »

« Le gouverneme­nt du Québec a eu une idée : pour les empêcher de partir, on va tuer les chiens. Les gouverneme­nts – Ottawa et Québec – ont commencé les campagnes d’abattage de chiens. Et ça a duré jusqu’à ce qu’il n’en reste plus. Dans les années 1950, il y en avait 20 000. Dans les années 1970, il n’y en avait plus. On en a retrouvé quelques-uns, après, pour sauver la race. »

■ Michel Jean est un Innu de Mashteuiat­sh.

■ Il est écrivain, chef d’antenne et journalist­e d’enquête.

■ Son roman Kukum connaît un succès internatio­nal et a mérité de nombreux prix.

■ De très beaux projets s’en viennent pour lui.

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