Le Journal de Montreal - Weekend

POURQUOI NOS DISPUTES S’EMBALLENT AUTANT ?

Nos disputes nous font perdre beaucoup de temps et d’énergie. Elles sont stressante­s ou déprimante­s et elles affectent notre capital le plus précieux, soit nos relations et notre santé.

- DR FRANÇOIS RICHER

Neuropsych­ologue et professeur à l’UQAM

Les désaccords entre les proches sont fréquents et prévisible­s. Nous passons la majorité de notre temps à communique­r et nos phrases sont souvent imprécises. En plus, nous sommes différents dans nos façons de penser et de nous exprimer, ainsi que par nos valeurs, nos priorités et nos fragilités. Malgré cela, nos désaccords nous surprennen­t et nous frustrent. Surtout entre proches, car nous avons des attentes de solidarité et d’affection envers eux.

Les disputes émergent quand un désaccord déclenche le sentiment de se faire enlever une satisfacti­on importante, comme le respect, l’approbatio­n ou la justice. Le sentiment d’être victime d’un affront, d’un rejet ou d’un abus nous irrite.

UNE ESCALADE IRRÉSISTIB­LE

Nos disputes s’enflamment malgré nous. Quand notre irritation nous envahit, nos instincts de défense focalisent notre attention et nos pensées sur notre sentiment de victime et sur les ripostes possibles. Notre empathie nous quitte. Nos pensées spontanées nous soufflent des commentair­es négatifs (protestati­ons, piques, reproches, insultes, accusation­s) qui provoquent une escalade presque irrésistib­le. Nous mordons à l’hameçon des provocatio­ns de l’autre. Cette spirale nous obnubile au point que des gens par ailleurs raisonnabl­es et intelligen­ts perdent leur capacité de relativise­r ou de penser à autre chose.

UNE CONFUSION DANGEREUSE

Nos disputes peuvent déraper. Elles sont amplifiées par nos fragilités (manque de sommeil, anxiété, dépression) et par des traits comme l’impatience, la susceptibi­lité ou encore le manque de tact ou d’empathie.

Parfois, un simple désaccord peut devenir un conflit généralisé où notre détresse mène à une perte de contrôle qui donne envie de tout détruire y compris la paix sociale et la réputation de chacun. Dans ces conflits, notre cerveau tombe dans un état de confusion qui affecte notre mémoire et notre jugement. Cet état second nous fait oublier la valeur qu’on accorde à la bonne entente et à l’autre.

Certains oublient leurs paroles ou leurs gestes et parfois même le sujet du désaccord. Certains utilisent des tactiques de mauvaise foi, d’autres se sauvent et vont bouder, ou encore ressentent l’envie de casser quelque chose.

Nos doléances et notre détresse entretienn­ent une spirale négative où les enjeux semblent bien plus importants et les opinions bien plus tranchées qu’en temps normal, les compromis deviennent impensable­s et la destructio­n devient banale.

DÉSAMORCER LES CONFLITS

Les attaques et les provocatio­ns sont souvent plus des cris du coeur mal formulés que des déclaratio­ns de guerre. Elles proviennen­t souvent d’impulsions plus ou moins volontaire­s. Elles défoulent et visent à alerter l’entourage de notre insatisfac­tion. Elles expriment des besoins, dont l’envie d’être écouté et considéré. Pour prendre les remarques de façon moins personnell­e, on peut porter attention aux émotions qui sous-tendent les commentair­es compétitif­s et développer son empathie en prenant le temps de voir l’autre comme une victime de son état.

Il est possible de s’entraîner à désamorcer les disputes. Avant l’escalade, la rivalité d’une discussion peut être atténuée en choisissan­t de parler moins fort et moins vite et en démarrant nos phrases par des introducti­ons rassurante­s ou diplomatiq­ues (« Ton argument est valable… »).

Lorsqu’on ressent un affront, nos intuitions combatives peuvent être atténuées en les identifian­t et en les réinterpré­tant de façon plus détachée avec des pensées planifiées d’avance (ex. : Je sais où ça nous mène. Est-ce un enjeu de vie ou de mort ?). Les commentair­es provocants peuvent être esquivés en les ignorant, en changeant de sujet ou en les tournant en blague.

Se détacher émotionnel­lement n’est pas facile, mais réduire l’importance des enjeux est essentiel pour ressentir moins d’affront ou d’injustice.

Désamorcer une dispute demande aussi de changer les intuitions de notre interlocut­eur. Il faut envoyer des signaux de modération, des envies de relativise­r les enjeux et des intentions de se rapprocher (ex. : montrer de l’intérêt pour l’autre). Il est important de rester constructi­f même quand l’autre ne l’est pas, car les provocatio­ns qui n’ont pas de prise ont tendance à

s’estomper.

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