Le Journal de Montreal - Weekend
POURQUOI NOS DISPUTES S’EMBALLENT AUTANT ?
Nos disputes nous font perdre beaucoup de temps et d’énergie. Elles sont stressantes ou déprimantes et elles affectent notre capital le plus précieux, soit nos relations et notre santé.
Neuropsychologue et professeur à l’UQAM
Les désaccords entre les proches sont fréquents et prévisibles. Nous passons la majorité de notre temps à communiquer et nos phrases sont souvent imprécises. En plus, nous sommes différents dans nos façons de penser et de nous exprimer, ainsi que par nos valeurs, nos priorités et nos fragilités. Malgré cela, nos désaccords nous surprennent et nous frustrent. Surtout entre proches, car nous avons des attentes de solidarité et d’affection envers eux.
Les disputes émergent quand un désaccord déclenche le sentiment de se faire enlever une satisfaction importante, comme le respect, l’approbation ou la justice. Le sentiment d’être victime d’un affront, d’un rejet ou d’un abus nous irrite.
UNE ESCALADE IRRÉSISTIBLE
Nos disputes s’enflamment malgré nous. Quand notre irritation nous envahit, nos instincts de défense focalisent notre attention et nos pensées sur notre sentiment de victime et sur les ripostes possibles. Notre empathie nous quitte. Nos pensées spontanées nous soufflent des commentaires négatifs (protestations, piques, reproches, insultes, accusations) qui provoquent une escalade presque irrésistible. Nous mordons à l’hameçon des provocations de l’autre. Cette spirale nous obnubile au point que des gens par ailleurs raisonnables et intelligents perdent leur capacité de relativiser ou de penser à autre chose.
UNE CONFUSION DANGEREUSE
Nos disputes peuvent déraper. Elles sont amplifiées par nos fragilités (manque de sommeil, anxiété, dépression) et par des traits comme l’impatience, la susceptibilité ou encore le manque de tact ou d’empathie.
Parfois, un simple désaccord peut devenir un conflit généralisé où notre détresse mène à une perte de contrôle qui donne envie de tout détruire y compris la paix sociale et la réputation de chacun. Dans ces conflits, notre cerveau tombe dans un état de confusion qui affecte notre mémoire et notre jugement. Cet état second nous fait oublier la valeur qu’on accorde à la bonne entente et à l’autre.
Certains oublient leurs paroles ou leurs gestes et parfois même le sujet du désaccord. Certains utilisent des tactiques de mauvaise foi, d’autres se sauvent et vont bouder, ou encore ressentent l’envie de casser quelque chose.
Nos doléances et notre détresse entretiennent une spirale négative où les enjeux semblent bien plus importants et les opinions bien plus tranchées qu’en temps normal, les compromis deviennent impensables et la destruction devient banale.
DÉSAMORCER LES CONFLITS
Les attaques et les provocations sont souvent plus des cris du coeur mal formulés que des déclarations de guerre. Elles proviennent souvent d’impulsions plus ou moins volontaires. Elles défoulent et visent à alerter l’entourage de notre insatisfaction. Elles expriment des besoins, dont l’envie d’être écouté et considéré. Pour prendre les remarques de façon moins personnelle, on peut porter attention aux émotions qui sous-tendent les commentaires compétitifs et développer son empathie en prenant le temps de voir l’autre comme une victime de son état.
Il est possible de s’entraîner à désamorcer les disputes. Avant l’escalade, la rivalité d’une discussion peut être atténuée en choisissant de parler moins fort et moins vite et en démarrant nos phrases par des introductions rassurantes ou diplomatiques (« Ton argument est valable… »).
Lorsqu’on ressent un affront, nos intuitions combatives peuvent être atténuées en les identifiant et en les réinterprétant de façon plus détachée avec des pensées planifiées d’avance (ex. : Je sais où ça nous mène. Est-ce un enjeu de vie ou de mort ?). Les commentaires provocants peuvent être esquivés en les ignorant, en changeant de sujet ou en les tournant en blague.
Se détacher émotionnellement n’est pas facile, mais réduire l’importance des enjeux est essentiel pour ressentir moins d’affront ou d’injustice.
Désamorcer une dispute demande aussi de changer les intuitions de notre interlocuteur. Il faut envoyer des signaux de modération, des envies de relativiser les enjeux et des intentions de se rapprocher (ex. : montrer de l’intérêt pour l’autre). Il est important de rester constructif même quand l’autre ne l’est pas, car les provocations qui n’ont pas de prise ont tendance à
s’estomper.