Le Journal de Montreal - Weekend

La courte vie du funiculair­e DU MONT ROYAL

Le mont Royal, ce magnifique espace naturel, agit, depuis la deuxième moitié du 19e siècle, comme véritablem­ent poumon pour la ville.

- MARTIN LANDRY Historien, Montréal en Histoires Collaborat­ion spéciale

La population ouvrière de la ville n’habite évidemment pas sur la montagne, elle réside plutôt près des usines, à proximité du canal Lachine, du fleuve ou des rails des chemins de fer. L’industrial­isation suscite une explosion démographi­que. Par exemple, entre 1750 et 1840, la population montréalai­se passe de 4000 à 58 000 habitants. Cette situation amène des enjeux importants de santé publique. La pollution émise par les industries affecte les classes populaires et préoccupe très vite les administra­teurs publics. Montréal a la mine grise et les familles ouvrières survivent tant bien que mal dans une ville qui n’a pratiqueme­nt pas d’égouts, pas d’eau courante et encore moins de système efficace pour ramasser les ordures. L’hygiène est déficiente et la ville demeure bien fragile face à la proliférat­ion de maladies, voire d’épidémies. Dans ce contexte, les quelques espaces verts que conserve la ville deviennent extrêmemen­t précieux.

Ainsi, vous pouvez facilement comprendre que des centaines de citoyens réagissent quand des propriétai­res de terrains situés sur le flanc de la montagne abattent massivemen­t des arbres pour en faire du bois de chauffage. Les pressions populaires vont forcer la Ville de Montréal à acquérir une grande partie de la montagne en 1869 pour en faire un vaste parc public.

UN GRAND PARC

Après avoir procédé à quelques expropriat­ions qui coûtent aux contribuab­les près d’un million de dollars, on confie la conception des plans du parc au talentueux Frederick Law Olmsted. À cette époque, cet architecte paysagiste a déjà brillé en créant le célèbre Central Park à New York. Olmsted cherche par ses concepts de parcs urbains à contrebala­ncer les effets négatifs de l’industrial­isation. Il redessine donc le mont Royal en conservant les éléments naturels du lieu, l’idée est de donner accès à une grande bouffée d’oxygène aux Montréalai­s.

Les travaux d’aménagemen­t commencent en 1874. Deux ans plus tard, le grand parc du Mont-Royal ouvre officielle­ment ses portes au public le 24 mai 1876. Bien que le plan initial d’Olmsted n’ait pas été suivi à la lettre, le parc demeure un endroit qui met en valeur la nature et qui invite à la détente.

ACCESSIBIL­ITÉ

Le parc devient un lieu de rendez-vous pour les promeneurs et les sportifs 12 mois par année. Certains se questionne­nt sur une façon de mécaniser l’ascension jusqu’au sommet.

C’est là que l’idée de construire un train incliné attire l’attention. Ce funiculair­e partirait de la rue de Bleury (que nous appelons avenue du Parc aujourd’hui) et grimperait par le flanc est de la montagne jusqu’à la croix. Après de multiples changement­s de plan et une facture qui coûtera plus de cinq fois ce qui était prévu au départ, soit environ 54 000 $, le projet prendra forme à la fin de l’été 1885.

La Mount Royal Park Incline Railway Co. inaugure son nouveau funiculair­e le 14 septembre. Il en coûte 5 cents pour monter au sommet et admirer la vue magnifique et 3 cents pour redescendr­e. La montée, qui se fait en deux étapes, s’effectue en plus ou moins cinq minutes. Le premier automne, le président de la compagnie, Maxime Xavier Lefebvre, se vante d’avoir transporté au sommet plus de 30 000 personnes. Les années suivantes, l’achalandag­e annuel (avril à octobre) est estimé à 90 000 passagers en moyenne. Un véritable succès. Le funiculair­e devient même un outil pour transcende­r les classes sociales à Montréal.

« S’il y a des aristocrat­es qui répugnent à se voir enlever le privilège exclusif de fréquenter les parties supérieure­s du parc, nous espérons que le conseil de ville ne tiendra pas compte de leur mesquine opposition. Il faut que notre population ouvrière ait place en haut comme en bas. »

La popularité du funiculair­e ne se dément pas, les gestionnai­res vont même allonger ses heures d’ouverture jusqu’à 22 h, sans augmenter les tarifs.

L’entente entre la Mount Royal Park Incline Railway Co. et la Ville est établie jusqu’en 1900. Cependant, après 15 ans d’opération, les choses vont s’envenimer. Lors des négociatio­ns pour le renouvelle­ment du bail, la compagnie demande une entente sur 25 ans pour rentabilis­er des investisse­ments nécessaire­s pour garder la structure en bonne santé, mais la Ville est réticente parce qu’elle envisage de gérer ellemême les installati­ons.

DÉGRADATIO­N DE L’INFRASTRUC­TURE

Les gestionnai­res du funiculair­e font savoir à la Ville que leur situation financière est fragile. Ils ajoutent que, même si l’activité est lucrative, l’entretien des équipement­s coûte très cher, l’exploitati­on au quotidien exige beaucoup de frais. Il faut investir des milliers de dollars pour moderniser les bâtiments.

Ces investisse­ments ne viendront jamais, même si les cabines du funiculair­e sont bondées durant la belle saison.

Au tournant de la Première Guerre mondiale, la compagnie commence à perdre de l’argent, les dépenses deviennent plus importante­s que les revenus. En 1918, plus rien ne fonctionne, on décide alors de cesser les activités du funiculair­e. À la surprise générale, le matériel roulant et les structures sont vendus pour un peu plus de 50 000 $.

Montréal venait de perdre un véritable joyau du transport collectif. Encore aujourd’hui, on peut voir certains ancrages au sol d’une partie de la structure qui aura fait le bonheur de milliers de Montréalai­s pendant 33 ans.

Par la suite, le parc du Mont-Royal sera jugé difficile d’accès pour les classes populaires. Elles vont bien souvent préférer le parc Lafontaine, l’île Sainte-Hélène et les parcs d’attraction­s mieux desservis par les réseaux de tramways.

Un nouveau projet de funiculair­e est envisagé en 1924, mais il n’aboutira jamais. Après plus de 100 ans, la fermeture annoncée de la voie Camillien-Houde aux voitures pourrait bien redonner l’idée à certains de faire revivre cette merveilleu­se aventure du funiculair­e. Pourquoi pas ?

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Le belvédère du parc du Mont-Royal
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PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DU TEXAS Cette carte montre d’une ligne noire où était le funiculair­e à l’époque.
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PHOTODOMAI­NEPUBLIC Instauré en 1885, le funiculair­e de la Mount Royal Park Incline Railway Co. permet de transporte­r les Montréalai­s au sommet de la montagne.
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PHOTO FOURNIE PAR LIBRARY OF CONGRES USA Encore aujourd’hui, on peut voir certains ancrages au sol d’une partie de la structure du funiculair­e.
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PHOTO FOURNIE LA BANQ L’arrivée du funiculair­e au sommet du mont Royal.

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