Le Journal de Montreal - Weekend
TOUT SUR LES OISEAUX
Tous les matins, lorsque je prends mon petit-déjeuner sur le portail de la maison que j’habite à La Havane, une volée de moineaux, qu’on appelle ici gorriones, m’attendent en piaillant à qui mieux mieux. C’est qu’ils guettent le moment où je répandrai sur le sol des miettes de pain. Peu farouches, ils se précipitent alors, se bousculent et s’arrachent les morceaux de la bouche. C’est la loi du plus fort, ce que Franz Fanon appelait, dans Les damnés de la terre, la « loi du peck order ». Il n’y a plus de solidarité qui vaille, comme cela se produit fort souvent dans nos sociétés.
Leur comportement, bien sûr, m’intrigue. Ces moineaux, les champions de la colonisation sur notre planète, n’ont pas de mains, contrairement à nous, ils n’ont que leur bec pour assurer leur survie. Mais ont-ils une intelligence ?
Le livre de l’éthologue et biologiste Louis Lefebvre, Têtes de linotte ? ,devrait me renseigner à ce sujet.
Une preuve d’intelligence serait leur capacité d’innover, d’utiliser des techniques nouvelles, à l’instar des primates, nous dit le chercheur.
Ruses, inventions et exploits, cela existe parmi une centaine d’espèces d’oiseaux.
Ainsi, des mésanges ont été vues en train de picorer et d’arracher « les bouchons des bouteilles de lait laissées sur le pas des portes, au matin, par le laitier. Les mésanges buvaient la crème flottant sur le dessus du lait, qui n’était pas homogénéisé à l’époque. Que les bouchons soient en carton ou en papier d’étain, que les laitiers placent des cailloux, des bouts de tissu ou des couvercles sur les bouteilles, les oiseaux réussissaient à résoudre le problème et à voler la crème ».
EXPÉRIENCES
Plusieurs autres expériences ont été tentées avec succès, obligeant « une séquence d’opérations combinant plusieurs actions (tirer, fixer, tirer encore, enfin fixer) », ce qui supposait « une certaine compréhension des relations de cause à effet ».
Des mésanges ont été entraînées à pousser sur une petite porte pour accéder à de la nourriture. Ces tuteurs ont ensuite entraîné d’autres oiseaux à le faire, démontrant ainsi une capacité de transmission par imitation et d’innovation — « une solution à un nouveau problème, une nouvelle solution à un ancien, une nouvelle découverte écologique telle qu’un aliment qui ne faisait pas auparavant partie du régime alimentaire du groupe ».
Innovation et cerveau vont donc de pair.
Chez un animal dont le cerveau pèse moins d’un gramme, soit 1500 fois moins que le nôtre, c’est déjà pas mal.
BECS
Il convient aussi d’observer la forme des becs de ces oiseaux.
« Un bec robuste permet à un oiseau de casser des graines très dures, alors qu’un bec fin est plus efficace pour aller chercher des insectes, des fruits ou du nectar de fleur », précise l’auteur.
Les oiseaux peuvent donc s’adapter selon l’environnement dans lequel ils évoluent, et apprendre de nouvelles techniques de recherche alimentaire.
On a même vu des moineaux domestiques voleter devant l’oeil électronique qui contrôlait l’ouverture des portes d’un restaurant ou se percher sur le boîtier de l’oeil électronique et pencher la tête jusqu’à ce qu’elle arrive devant le capteur et déclenche l’ouverture des portes. Ces moineaux ont-ils compris « la relation de cause à effet entre l’oeil et l’ouverture de la porte ? Impossible de le savoir sans expériences contrôlées, qui n’ont malheureusement pas été faites », conclut le chercheur.
Ces moineaux grégaires ont une capacité d’adaptation exceptionnelle. Mais « comment font-ils pour s’adapter à tant d’environnements différents, des pluies de l’Angleterre aux hivers à -30 °C du Québec et aux sécheresses à 40 °C de l’Australie ? »
C’est grâce à leur capacité d’adaptation immunitaire et hormonale, répond Lefebvre, et aussi à leurs innovations alimentaires.