Le Journal de Montreal - Weekend
UN HUIS CLOS JUDICIAIRE IMMERSIF ET FASCINANT
Dans son nouveau film, Le Procès Goldman, le cinéaste français Cédric Kahn revisite un chapitre méconnu de l’histoire de France en reconstituant le second procès de Pierre Goldman, un militant d’extrême gauche accusé d’avoir tué deux pharmaciennes pendant un braquage qui a mal tourné.
Nous sommes en avril 1976, à Amiens. Après avoir été condamné à perpétuité lors d’un premier procès qui a finalement été annulé, Pierre Goldman – le demi-frère du chanteur Jean-Jacques Goldman – a droit à un second procès dans la foulée de la publication d’un livre autobiographique dans lequel il clame son innocence.
Goldman est accusé de quatre braquages à main armée, dont un qui a entraîné la mort de deux pharmaciennes. S’il admet être l’auteur des trois premiers braquages, il nie avoir été impliqué dans celui qui s’est terminé en bain de sang.
Le second procès de Goldman a fait grand bruit en France. C’est que Pierre Goldman, un Juif laïque dont les parents ont été des héros de la résistance juive, est devenu une icône de la gauche intellectuelle en 1975, après la parution de son récit autobiographique Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France. Certains sujets abordés dans son procès, comme le racisme et les violences policières, suscitaient des tensions en France à l’époque et résonnent encore fort aujourd’hui.
« Ça faisait longtemps que j’avais envie de réaliser un film sur Pierre Goldman, mais sans trop savoir comment le faire », explique Cédric Kahn, qui était de passage à Montréal cette semaine pour présenter Le Procès Goldman en ouverture du Festival Cinemania.
« Depuis que j’avais lu son livre, je me disais qu’il y avait quelque chose à faire sur lui. Parce que je trouvais que cette histoire parlait de choses plus larges que seulement de Goldman. Ce n’est pas tant son histoire que je voulais raconter. C’est plutôt l’histoire dans laquelle il s’inscrit qui m’intéressait. »
Il reste que le personnage de Pierre Goldman – interprété avec brio par Arieh Worthalter – est fascinant. Charismatique, provocateur, paradoxal…
« Il est droit, mais en même temps très ambigu. À la fois séduisant et inquiétant. C’est un personnage très riche. Et il y a beaucoup de questions autour de lui. Pourquoi la gauche en a fait un symbole ? Pourquoi les gens l’ont cru ? », questionne le cinéaste.
SENSATION DE VÉRITÉ
Voulant s’éloigner le plus possible d’un film biographique classique, Cédric Kahn a fait le pari de réaliser un drame judiciaire dont l’action se déroule presque entièrement entre les murs d’une salle d’audience. Un défi gigantesque sur le plan de la mise en scène.
« J’adore les films de procès, mais j’aime aussi les huis clos », précise le cinéaste en soulignant que ce genre constituait « un espace de travail intéressant » parce qu’il demande beaucoup de concentration de la part du spectateur.
« J’avais envie que ça soit comme une expérience immersive pour le spectateur et qu’il ait l’impression d’être assis dans la salle, indique Kahn. J’avais deux alliés, soit la qualité des dialogues et la qualité des acteurs. Je comptais plus sur cela que sur la mise en scène ou les mouvements de caméra. »
Au moment de sa sortie dans les salles françaises, le mois dernier, Le Procès Goldman a été vivement critiqué par Christiane Succab-Goldman, la veuve de Pierre Goldman, qui a reproché au film d’avoir inventé de toutes pièces les scènes de son témoignage. En réalité, Mme SuccabGoldman n’a jamais témoigné au procès puisque Goldman avait refusé qu’elle le fasse pour la protéger.
« Le film ne prétend pas du tout être la vérité, se défend Cédric Kahn. On est parti des articles de journaux de l’époque pour reconstituer le procès. Mais comme on n’avait pas les documents de cour, on a recousu pas mal de choses. Je dirais qu’on a travaillé avec un mélange de rigueur et de liberté. Je sais que c’est bizarre. Mais c’est ça, le cinéma : c’est inventer pour se rapprocher d’une sensation de vérité. »
Le Procès Goldman, à l’affiche le 3 novembre.