Le Journal de Montreal - Weekend
Le plus remarquable corbillard du Québec bientôt accessible au public au Musée de la civilisation
Pendant 80 ans, ce landau baroque a porté dans les rues de Québec les cercueils de grands dignitaires vers leur dernière demeure. À chaque sortie, c’est un événement : la foule se presse pour voir passer le corbillard finement ouvragé et ses grands chevaux noirs.
Mais au fil des ans, il devient de plus en plus difficile d’organiser ce rituel, comme l’explique André Lépine à l’anthropologue Brigitte Garneau au sujet de la dernière sortie du corbillard pour les funérailles de Rosaire Bédard en 1980.
« Cela a pris 90 h d’ouvrage [...]. Il fallait trouver les brides pour les chevaux [...]. Et louer les chevaux, c’était quelque chose, il fallait les faire venir ; des chevaux qui étaient habitués à marcher en team, comme on dit. [...] Et les assurances. [...] On parle de funérailles autour de 30 000 $. »
Déjà alors, ce patrimoine équestre s’étiole. Pourtant, à peine un siècle auparavant, c’était l’âge d’or des grands corbillards hippomobiles.
AUX FUNÉRAILLES D’ANTAN
« Les petits corbillards, corbillards, corbillards de nos grands-pères qui suivaient la route en cahotant », chante Georges Brassens.
Des longues veillées funéraires à la maison aux cercueils portés sur l’épaule jusqu’au cimetière ; les corbillards font leur entrée dans le rituel funéraire au début du 19e siècle au Québec.
Selon un règlement de 1684, il est obligatoire de transporter le cercueil à pied jusqu’au cimetière, ce qui pouvait être une épreuve pour la famille endeuillée résidant loin du lieu de sépulture. Cette tradition perdure dans certaines régions rurales, notamment en Beauce, jusqu’au début du 20e siècle.
Malgré la résistance des évêques, certaines fabriques paroissiales, notamment à Saint-Augustin-dePortneuf en 1805, font l’acquisition des premiers petits corbillards hippomobiles.
Avec l’émergence des métiers liés aux pompes funèbres au milieu du 19e siècle, les entrepreneurs prennent le relais des fabriques, s’évitant l’achat de voitures.
En 1845, Germain Lépine fait l’acquisition de ses premiers corbillards. Au plus fort de ses activités, il possède 10 chariots mortuaires, dont un petit landau blanc néogothique dédié aux enfants et un corbillard noir doté d’une fenêtre ovale de style néoclassique.
En 1898, les employés de la Maison Lépine fabriquent de toutes pièces un corbillard catafalque pour les funérailles du cardinal Elzéar-Alexandre Taschereau, moyennant d’innombrables heures de travail. Cette expérience convainc la famille Lépine de se doter en 1900 d’un véritable corbillard d’apparat pour les grandes occasions.
L’ÈRE VICTORIENNE ET LE DEUIL GLORIFIÉ
Au 19e siècle, la mort n’épargne pas les plus humbles ni les plus puissants. Le décès prématuré de son époux Albert en 1861 des suites de la fièvre typhoïde plonge la reine d’Angleterre dans une longue période de deuil qui dure 40 ans.
« En tant que seule femme de pouvoir dans l’espace public, Victoria influence certainement ses contemporain.e.s à accorder un attachement particulier aux défunts. Cela se reflète par des pratiques du deuil qui glorifient le souvenir du disparu. Les funérailles grandioses sont l’une de ses manifestations », explique l’historienne Louise Lainesse, dont les recherches doctorales portent sur cette période en particulier.
LE LEGS DE LA FAMILLE LÉPINE
Sur cinq générations, la famille Lépine a accompagné les familles endeuillées avec une réelle compassion. Lors de grandes catastrophes, des incendies aux naufrages, en passant par les crises économiques, la maison funéraire est venue en aide aux familles des victimes et a offert aux plus démunis des funérailles sans frais.
Au tournant du 20e siècle, il existe plusieurs centaines de corbillards hippomobiles, reflétant le travail le plus raffiné des artisans d’ici et d’ailleurs. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une quinzaine, dont le remarquable corbillard d’apparat de la Maison Lépine qui a marqué à sa façon l’histoire du Québec.
Référence : Brigitte Garneau, Les corbillards à chevaux de la maison funéraire Germain Lépine à Québec : 1845-1975, GID éd. Québec, 2023. 253 p.