Le Journal de Montreal - Weekend

L’AMOUREUSE PERTE D’UN PAYS

Nos grands débats politiques trouvent peu souvent leur version romanesque, surtout s’ils sont récents. Dominique Lebel y plonge dans un récit délicat, nostalgiqu­e.

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Dominique Lebel a oeuvré à de hauts niveaux dans l’univers de la politique. Il a été directeur de cabinet adjoint de la première ministre Pauline Marois, expérience dont il a tiré un essai en 2016.

Il a continué d’écrire : des chroniques, des portraits. Avec Automne 1995, il signe un premier roman qui entremêle finement un drame personnel et une immense déception politique.

Cet automne-là, les électeurs répondront non, à une courte majorité, au référendum sur l’indépendan­ce du Québec. Martin, protagonis­te du roman, s’était investi de toute son âme dans la bataille. Il en sort vidé.

Mais cet automne-là l’achèvera autrement, alors que Sophie, son amoureuse avec qui il militait, se donne la mort dans leur appartemen­t. Son suicide est mis en parallèle avec l’effacement du rêve politique : « Le “Non” l’emporte. Mort de Sophie. »

Pour Martin, qui raconte à partir d’aujourd’hui, le référendum de 1995 ne marque pas une étape, mais un véritable tournant. Il faut s’ajuster pour poursuivre une vie sans remous, quitte à oublier. « L’heure était venue de passer à autre chose – à rien, par exemple », écrit Lebel, incisif.

Il est intéressan­t que l’auteur cerne précisémen­t l’époque. Son roman ouvre sur la liste des évènements qui marquent 1995 : du succès de D’eux, signé Jean-Jacques Goldman et Céline Dion, au triomphe télévisé de La petite vie ; d’un attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, au plan déjoué à Manille pour mener une attaque terroriste contre le World Trade Center.

L’ART DE RACONTER

C’est à ce monde concret qu’appartient Martin, jeune et obscur militant du Parti Québécois qui, grâce à la campagne référendai­re, arrivera à se frotter à l’entourage de Jacques Parizeau. Il deviendra ensuite conseiller politique.

Il y aura des moments grandioses dans cette campagne, mais aussi une impression d’évanescenc­e que Lebel sait rendre.

Est-ce que réellement un pays s’en venait ? Et qu’est-ce au juste que cette défaite du 30 octobre 1995 ?

Les images sont évocatrice­s. Ainsi, une fois le résultat du référendum connu, Martin et Sophie traversent à pied Montréal pour rentrer chez eux.

« Il n’y avait ni poubelle en feu ni vitrine cassée. […] On aurait dit que rien ne s’était passé ce jour-là, que personne n’avait gagné ni perdu. » Une non-défaite en somme.

Il faut prendre le passé dans sa totalité, se répète Martin, et le roman nous donne les zones d’ombres comme de bonheur de cette époque devenue un temps à part, collective­ment et pour lui personnell­ement.

Sa Sophie restera jeune pour l’éternité. Le pays du Québec n’aura pas d’existence autre qu’imaginaire.

Lebel sait au moins le raconter, en faisant appel aux poètes, à la géographie, à la transmissi­on. Avec en filigrane cette source immuable d’espoir : « Le Québec renaît chaque matin quand tu te lèves. Tant que tu vis, il est éternel. »

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AUTOMNE 1995 Dominique Lebel Robert Laffont Québec 200 pages
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