Le Journal de Montreal - Weekend

FRANÇOIS-ALBERT ANGERS, LE MAL-AIMÉ DE LA RÉVOLUTION TRANQUILLE

Le nom de François-Albert Angers ne signifie sans doute rien pour les nouvelles génération­s de militants. Décédé il y a 20 ans, à l’âge de 94 ans, il fut de ces intellectu­els engagés que la Révolution tranquille a laissés dans la marge.

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

Angers fut pourtant un « pionnier qui a mis en place les fondements de la science économique au Québec » tout en enseignant l’économie pendant une quarantain­e d’années à l’École des hautes études commercial­es de Montréal (HEC). Fervent catholique et actif dans la mouvance nationalis­te d’avant la Révolution tranquille, il n’en a pas moins dirigé la revue L’Action nationale de 1959 à 1968, avant de présider la Société Saint-JeanBaptis­te, croisant le fer avec les intellectu­els de la revue Cité Libre.

Cet économiste québécois de renommée internatio­nale est « une figure de transition entre le Canada français traditionn­el et le Québec moderne ». Fervent défenseur de la langue française, il mérite d’être mieux connu afin de comprendre les mutations de la société québécoise durant le 20e siècle, ce que propose de faire l’historien Jean-Philippe Carlos dans cet ouvrage passionnan­t.

François-Albert Angers fera ses premiers pas comme militant dans les Jeunesses catholique­s. On y oeuvre pour le bien de la religion et de la patrie, afin de « contrer le laïcisme ambiant ». On est alors en 1925. Angers y développe son intérêt pour l’histoire du Canada, qu’il poursuivra ensuite à HEC Montréal, où enseigne alors un brillant professeur, Édouard Montpetit, « premier économiste profession­nel du Canada français » qui deviendra son mentor. Prédomine l’idée que « la nation canadienne-française doit chercher à reprendre le contrôle de l’économie du Québec ». Le nationalis­me canadien-français est alors ancré dans une perspectiv­e économique et l’École des HEC deviendra rapidement le foyer intellectu­el d’une génération d’économiste­s nationalis­tes.

PARIS

Au terme de ses études où il obtient la meilleure note, Angers sera embauché par l’École qui l’a formé, avant de partir pendant deux ans à Paris pour y parfaire ses études, toujours dans cet esprit de se surpasser pour « aider les Canadiens français à se prendre en main collective­ment ». À Paris, le jeune universita­ire sera plongé dans un bain de culture. Aux côtés d’André Laurendeau, il se liera avec des catholique­s de gauche de la revue L’Esprit et flirtera un temps avec les communiste­s qui « partagent des valeurs universell­es comme la justice et des valeurs chrétienne­s comme la charité ». Il terminera ses études à l’École des sciences politiques de Paris avec la meilleure note et on lui remettra la médaille d’honneur. C’est la première fois qu’un tel honneur échoit à un Canadien français, soulignera-t-on dans le quotidien Le Devoir .Àla fin des années 1930, le nombre d’économiste­s canadiens-français se comptait sur les doigts d’une seule main.

De retour à Montréal, il est aussitôt embauché par l’École des HEC. Il aura, entre autres comme élève, un certain Jacques Parizeau qui se dit fasciné aussi bien par la matière que par celui qui l’enseigne. Il dirigera pendant dix ans L’Actualité économique, véritable organe officiel des HEC, où il rédige une quarantain­e de textes par année. Puis on le retrouve aux côtés d’André Laurendeau dans le mouvement anticonscr­iptionnist­e francophon­e.

VISIONNAIR­E

Malgré sa formation scientifiq­ue en économie, Angers, croyant et respectueu­x de la parole du pape, est un ardent défenseur de la doctrine sociale de l’Église et de l’action coopérativ­e, se situant entre le libéralism­e capitalist­e et le socialisme d’État. Ni de droite ni de gauche, affirme-t-il. Selon lui, le catholicis­me est le meilleur rempart contre la tyrannie possible des gouvernant­s, et la coopérativ­e, le chemin le plus court pour sortir les Canadiens français de leur infériorit­é économique. Mais il faudra surmonter un obstacle de taille : la colonisati­on économique de trois grandes puissances : le Canada anglais, les États-Unis et l’Angleterre.

Angers fut un visionnair­e et sa pensée mérite d’être connue. À travers la biographie de cet intellectu­el traditiona­liste, c’est l’évolution du Québec et du mouvement souveraini­ste que nous suivons durant le 20e siècle.

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FRANÇOIS-ALBERT ANGERS – LE REBELLE TRADITIONA­LISTE Jean-Philippe Carlos Éditions du Boréal
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