Le Journal de Montreal - Weekend

MIEUX SE COMPRENDRE, CHEMIN FAISANT

ROMANS D’ICI Deux frères s’en vont cueillir des fraises avec leurs femmes. L’un a soudain une idée : pourquoi ne partiraien­t-ils pas tous les deux pour Havre-Saint-Pierre ? L’offre n’a rien de banal.

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Karam et Farid sont des Québécois d’origine libanaise, mais des frères un peu distants, car ils n’ont pas été élevés ensemble.

Il y a plus de 60 ans de cela, leur mère, devenue veuve, a quitté le Liban pour le Québec. Elle est partie avec ses deux plus jeunes, laissant son adolescent Karam derrière.

De manière surprenant­e, elle va s’installer à Havre-Saint-Pierre, où en quelques années à peine, sa fille Salwa dépérira. Elle mourra dans les bras de Karam, débarqué juste à temps, et sera enterrée sur la Côte-Nord.

C’est Karam qui propose d’y retourner, alors que 51 ans ont passé.

Il a besoin de rendre hommage à une soeur méconnue et pourtant profondéme­nt aimée.

UNE PLUME LUMINEUSE

Avec Havre-Saint-Pierre, Abla Farhoud signe un roman publié à titre posthume. Mais sa mort, survenue en décembre 2021, semble bien irréelle tant son écriture regorge de vie. Comme dans Au grand soleil cachez vos filles ou Le bonheur a la queue glissante, ses précédents ouvrages, même les thèmes les plus graves prennent de la couleur sous la plume lumineuse et chaleureus­e de Farhoud !

Ici, chacun des frères fait entendre sa voix. La première partie du roman est consacrée au « Chemin de Karam ». Elle est suivie de « La route de Farid » ; les réflexions de Salwa bouclent le récit.

Ce faisant, on suit les pensées des protagonis­tes. À mesure qu’ils avancent, ils se remémorent leur passé libanais et le Québec où ils se sont installés. D’ailleurs, les chansons de Richard Séguin et de Gerry Boulet accompagne­nt leur trajet, tout comme les paroles du poète persan Omar Khayyam. Un mélange qui est la marque d’Abla Farhoud.

Chacun cogite sur la vie familiale cassée en deux à la suite de la mort du père, voyageur perpétuel qui rentrait faire un enfant à son épouse avant de mieux repartir. Pourquoi, une fois qu’il n’est plus là, leur mère a-t-elle choisi de quitter son petit village ?

Pourquoi ne pouvait-elle supporter son aîné ? Pourquoi avoir à ce point ignoré les besoins de sa fille ?

Tous ces mystères ne seront pas éclaircis. L’intérêt est ailleurs : dans le fait que les deux frères ont enfin le temps, grâce à la longue route entre Montréal et Havre-Saint-Pierre, de réfléchir à tout cela — et à la vie qui tout simplement va, partagée entre un Liban rêvé par l’un, un Québec désiré par l’autre.

Les échanges entre Farid et Karam sont plutôt superficie­ls ; au fond, ils se connaissen­t à peine. Comme le résume in petto Farid : « Être avec un frère qu’on n’a ni haï ni aimé. »

Jamais ils n’ont passé autant de temps ensemble.

Mais on assiste à la communion d’esprit qui, à leur insu, se joue dans le huis clos de la voiture. Elle se concrétise­ra en une touchante scène finale.

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HAVRE-SAINT-PIERRE Abla Farhoud VLB éditeur 156 pages 2023
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