Le Journal de Montreal - Weekend

GUY FOURNIER OSE ENFIN L’AUTOBIOGRA­PHIE

- SARAH-ÉMILIE NAULT

Après des années d’essais et erreurs, d’ennui, de doutes et de pages blanches, l’auteur, chroniqueu­r et scénariste Guy Fournier a consenti à remettre sérieuseme­nt de l’ordre dans ses souvenirs de 92 ans de vie. De cet exercice est né Jamais deux sans moi : une biographie truffée d’anecdotes parfois légères et de souvenirs parfois douloureux, rédigée en collaborat­ion avec l’auteur Pierre Huet. Le Journal a longuement discuté avec le père des inoubliabl­es personnage­s de Peau de banane et de Jamais deux sans toi. Monsieur Fournier, vous dévoilez dans votre livre être atteint d’un cancer du poumon. Comment allez-vous ?

« Ça ne va pas mal. Les effets secondaire­s des traitement­s sont un petit peu ennuyeux, mais c’est sûrement plus supportabl­e que la mort, quoique la mort, apparemmen­t, ce n’est pas aussi insupporta­ble qu’on le dit [rires]. Le fait aussi que j’ai un peu l’impression que mon auto peut se rendre au CHUM les yeux fermés tellement j’y suis souvent. Maintenant que les traitement­s sont

aux six semaines, cela double les effets secondaire­s, mais réduit de moitié les visites à l’hôpital. Somme toute, je ne vais pas mal. »

Est-ce l’une des raisons qui vous ont mené à publier votre biographie maintenant et à avoir envie de tout dire ?

« J’ai hésité pendant 20 ans à écrire une biographie. J’ai signé un premier contrat à 75 ans, je faisais 25, 30 pages et ça me faisait chier et j’arrêtais, car je trouvais alors cela difficile et très ennuyeux de parler de moi et de ce que je faisais. Je ne voyais pas l’intérêt. La deuxième fois que j’ai signé un contrat d’édition, j’ai aussi arrêté. Plus tard, j’ai revu le directeur de la maison d’édition qui m’a dit : pourquoi tu ne fais pas ta biographie ? Et j’ai répondu : je l’écrirai quand je serai vieux ! Ce à quoi on m’a répondu : mais tu es vieux ! Mais j’ai encore arrêté. C’est tout à fait par hasard, dans un souper chez Richard Martineau, j’ai revu Pierre Huet. Ensemble, ils m’ont convaincu. Écrire est très difficile et est un péché très solitaire, et la meilleure façon de te pousser à le faire est d’avoir quelqu’un qui t’y force. J’ai écrit tous les jours pendant un an et je me suis dit que si je me donnais le mal d’écrire une bio, je voulais être franc, que ce soit positif ou négatif. Faire aussi comprendre l’époque dans laquelle j’ai vécu aussi. »

Vous racontez beaucoup de choses très personnell­es, dont les agressions que vous avez subies par un prêtre lorsque vous étiez enfant. Cela vous a fait du bien de le coucher sur papier ?

« À cette époque, qui ne l’a pas été [agressé] ? Cela n’a pas été difficile de le faire et je tenais à mettre les vrais noms. Mes avocats m’ont dit que ce n’était pas une bonne idée, ce à quoi j’ai répondu : je m’en fous ! Ce prêtre-là a fait tellement de tort, il faut qu’on sache que c’était un trou du cul ! J’ai vécu deux ou trois agressions dans ma jeunesse, à 6 ou 7 ans, tu n’es pas tellement conscient. Mon frère et moi avons réussi à nous défendre contre le curé en question. Mon frère le plus jeune n’a pas réussi à se défendre. C’est pour le venger que j’ai parlé de cela. »

Le décès de votre jumeau n’était pas survenu au début de l’écriture de votre biographie [Claude Fournier est décédé le 16 mars 2023].

Il a dû vous être difficile d’ajouter les derniers chapitres abordant la mort de votre frère et votre maladie dont vous avez appris l’existence quelques mois avant sa disparitio­n ?

« J’étais rendu dans les dernières pages de la biographie à sa mort. Je me suis demandé si je devais changer le début, puis je me suis dit : je vais faire comme s’il n’était pas mort. Cela a été un coup très dur, et j’ai aussi perdu mon autre frère peu de temps après. Perdre son jumeau est vraiment comme perdre la moitié de qui je suis. J’y pense encore constammen­t. Cela a été un moment très difficile, et ça l’est encore. »

Votre vie sentimenta­le tient une place très importante dans ce livre, comme ce fut le cas dans votre existence. Pourquoi pensez-vous avoir autant charmé les femmes ?

« Il paraît que j’aime vraiment les femmes et que cela paraît. C’est ce que

les femmes de ma vie m’ont dit. J’ai demandé à chacune d’entre elles [il a été marié à cinq reprises] quand on s’est séparé ce qu’elles allaient regretter, et elles m’ont toutes répondu : ma cuisine [rires]. »

Vous en profitez pour faire votre mea culpa pour plusieurs choses, dont votre tempéramen­t de séducteur et certains gestes déplacés que vous auriez pu commettre par le passé (et que vous mettez en lien avec le mouvement #metoo). C’était important pour vous de le faire à ce stade-ci de votre vie ?

« Il y a eu peu de gestes déplacés et l’époque des années 1960 et 1970 était extrêmemen­t différente de celle d’aujourd’hui, mais je sais que j’ai pu le faire par inadvertan­ce. Cela me semblait important d’en parler, car tu ne peux pas avoir autant aimé les femmes sans vouloir t’expliquer sur ce sujet. J’ai été mononcle, je le sais. Et sincèremen­t, je suis étonné que les hommes aient changé aussi rapidement, ce qui est sans doute arrivé avec le choc du mouvement #metoo. J’essaie maintenant de faire attention dans mes remarques. Cela

paraissait important de m’excuser, dans le climat actuel. »

Vous parlez longuement de la vie et des femmes de votre vie et de vos amies connues. En quoi ces femmes ont-elles fait de vous qui vous êtes aujourd’hui ?

« Chacune d’entre elles m’a changé, mais celle qui a fait la meilleure job est Louise Deschâtele­ts. Elle a été la meilleure pour éduquer. Avec elle, j’ai appris deux choses importante­s : être à l’heure et la franchise dans mes rapports humains, particuliè­rement avec les femmes. C’est sûrement ce qui fait que j’ai de meilleurs rapports avec les autres. On se téléphone encore chaque semaine et on mange encore souvent ensemble. »

Que teniez-vous mordicus à raconter dans votre biographie ?

« Je ne m’étais fait aucune autre idée que de me dire : je vais parler de tout. Finalement, j’ai oublié plusieurs choses, mais c’est déjà assez long. C’était important pour moi de parler de ma vie de couple, qui a occupé beaucoup de temps dans ma vie. J’ai quand même une réputation d’homme à femmes. J’aurais aimé être un homme à une femme, mais bon… J’ai eu cinq femmes et je réalise tout ce que j’aurais manqué avec une seule femme. Ce n’est pas simple ni un modèle, bien sûr, mais cela fait une vie assez riche. Je n’ai pas du tout de regrets. Je ne regrette rien. J’ai eu une vie bien plus agréable que j’aurais pu penser quand j’étais jeune et adolescent et que j’étais assez morose et très renfermé. Chaque femme m’a changé pour le mieux. »

Que voyez-vous comme votre plus grand accompliss­ement ?

« Le truc le plus difficile que j’ai fait a été de lancer Télévision Quatre-Saisons, ce qui fut une période très difficile. Ce que j’ai fait le mieux, je crois, est la loi sur le cinéma qui reste un truc durable. La commission que j’ai présidée [en 2003, il a été nommé président de l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision] et la loi de laquelle ont découlé notamment l’abolition du bureau de la censure, la SODEQ, les films qui n’étaient plus présentés qu’en langue anglaise… J’en suis très heureux et très fier. C’est un travail qui continue d’être utile et qui a permis l’avènement du cinéma québécois. »

À 92 ans, avez-vous encore des projets ?

« La biographie m’a redonné le goût d’écrire. J’ai un projet un peu fou : ce serait un conte pour enfants, ce que je faisais au début de ma carrière avec La boîte à surprises. Je veux faire ce projet avec mon arrière-petite-fille, Océane, qui est illustratr­ice et je désire que ce soit aussi bon que Le Petit Prince de Saint-Exupéry, rien de moins ! [rires] Et puis à partir du moment où je peux écrire mes chroniques et faire à souper chaque soir, je trouve la vie plutôt sympathiqu­e. »

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EN LIBRAIRIE LE 13 NOVEMBRE
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