Le Journal de Montreal - Weekend

L’étrange sort de la tête de la dernière Béothuk

- NORMAND LESTER Chroniqueu­r Collaborat­ion spéciale

Au Canada comme ailleurs, les autochtone­s poursuiven­t leurs efforts pour rapatrier les corps de leurs ancêtres conservés dans des musées du monde entier. À l’origine de cette « appropriat­ion » de restes d’indigènes, des scientifiq­ues et des érudits du 19e siècle qui recherchai­ent des crânes et des ossements de peuples disparus pour des études sur les races et l’évolution humaine.

Après de nombreuses démarches, les crânes de deux Béothuks (indigènes terre-neuviens), Demasduit et Nonosabasu­t, ont été rapatriés d’Écosse en 2020. Le chef micmac Mi’sel Joe, à l’origine de l’initiative, croit que ça contribuer­a à atténuer les « pages noires » de l’histoire de TerreNeuve.

Mais la tête de la dernière Béothuk – leur nièce Shanawdith­it – n’a jamais été rapatriée pour inhumation dans son île natale.

LE GÉNOCIDE DES BÉOTHUKS

Les Béothuks de Terre-Neuve sont parmi les premiers autochtone­s à entrer en contact avec les Européens. Se peignant le visage en rouge, ils sont à l’origine du terme « PeauxRouge­s » pour désigner les autochtone­s. Ils commercent avec les pêcheurs français, basques et bretons qui fréquenten­t les bancs de Terre-Neuve.

Les Béothuks vivent le long des côtes d’où ils sont férocement expulsés par les colons anglais qui s’y installent. « Les Terre-Neuviens chassent les Indiens comme s’ils étaient des bêtes sauvages et les tuent à vue », écrit le grand écrivain canadien Stephen Leacock.

Les meurtres collectifs d’autochtone­s prennent une telle ampleur que les autorités britanniqu­es décident en 1769 de faire du meurtre d’un Béothuk un crime punissable de mort. La proclamati­on stipule que les personnes accusées du meurtre d’un Béothuk seront jugées en Angleterre : il était difficile de recruter sur place des jurés qui n’aient pas eux-mêmes participé aux tueries.

Mais le génocide se poursuit. En 1807, le gouverneur John Holloway émet une nouvelle proclamati­on interdisan­t le massacre de Béothuks.

Le secrétaire d’État britanniqu­e aux colonies Henry Bathurst a écrit au sujet des Béothuks : « Il y avait des raisons de croire que notre peuple les avait fréquemmen­t mis à mort sans provocatio­n suffisante, et dans certains cas, j’ai honte de le dire, on les tirait par simple sport. »

James Howley rapporte dans son livre The Beothucks or Red Indians, que de vieux Terre-Neuviens nostalgiqu­es se vantaient encore à la fin du 19e siècle d’avoir participé à des tueries de Béothuks comme des chasseurs fiers de leurs exploits.

Terre-Neuve a longtemps refusé de confronter ces horreurs de son passé. On a attribué leur disparitio­n à une multitude de facteurs plutôt que d’accepter la vérité historique. On a même déjà enseigné aux enfants dans les écoles terre-neuviennes le mensonge que les Béothuks avaient été exterminés à la demande des Français par les Micmacs. Une croyance encore répandue dans l’île.

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PHOTO FOURNIE PAR BENOÎT ROCHON- WIKIMÉDIA COMMONS Territoire des Béothuks
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Esquisses laissées par Shanawdith­it, 1820
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