Le Journal de Montreal - Weekend
PLAIDOYER pour la liberté des écrivains
Écrivaine brillante au succès international, Fatou Diomé se demande si les romans d’aujourd’hui sont issus de la cuisine industrielle ou fait maison dans son nouveau livre, Le verbe libre
ou le silence. Elle s’indigne contre les livres écrits sur commande, les diktats sociaux, le contrôle de la création et l’intrusion des éditeurs dans le jardin de l’auteur. Son livre est un vibrant plaidoyer pour la littérature et surtout pour la liberté des auteurs.
Dans Le verbe libre ou le silence ,la grande Fatou Diomé raconte ce qui se passe lorsqu’un éditeur entre dans l’atelier d’un auteur sans y avoir été invité. À son avis, il s’agit d’une effraction.
Certains auteurs se plient à cette visite envahissante, au risque d’y perdre leur âme. D’autres refusent et se cabrent… au risque de ne plus pouvoir publier. Elle s’interroge : « À quoi sert une plume qui ne danse plus ? »
DÉNONCER LE FORMATAGE
Fatou Diomé signe un livre pertinent où elle soulève plusieurs questions importantes, notamment au sujet du « formatage » de la littérature.
« J’ai commencé avec une espèce de tranquillité, où j’avais l’impression que les personnes étaient très curieuses de voir tout simplement ce que je proposais. Et si ça les intéressait, qu’est-ce qui leur plaisait là-dedans, et on en discutait. Et c’était assez tranquille. Vraiment, une sérénité. Et d’un coup, j’ai eu cette mauvaise rencontre », raconte-t-elle en entrevue. « La “Cavalière”. Elle porte bien son nom. »
« Donc cette femme arrive. Et commence une cavalcade dans votre vie : elle sait ce qu’il faut écrire, comment il faut l’écrire. Elle sait tout ce que les lecteurs attendent, parce qu’évidemment, elle les connaît tous, hein… », dit-elle.
« Et ça, ça m’a terrorisée. Ça m’a chamboulée dans ma tranquillité de travail. Et ça a soulevé plein de questions. Au début, vous pensez que vous allez tenir. Et puis à un moment donné, vous vous rendez compte que si vous continuez avec ça, vous allez faire exactement le contraire de ce que vous cherchez en littérature, c’està-dire la liberté. »
Fatou Diomé dit qu’elle s’est révoltée. « Ce formatage, j’en entendais parler et je l’observais. Des gens s’en plaignaient, mais toujours en petit comité. Donc moi, j’ai décidé de dire que je ne veux pas de ça. Et que je ne l’accepterai pas. Et s’il le faut, eh bien, je me tais. »
L’écrivaine rappelle qu’elle écrit pour être libre.
« On n’est jamais assez libre, en fait. Donc il faut l’agrandir, notre liberté. Mais quand on vous la refuse… Pour moi, la littérature, c’est le refuge ultime. C’est là où je vais quand le monde est pesant, quand je suis face à mon impuissance. La création, c’était la petite autonomie intellectuelle que nous pouvons encore nous accorder. Mais si cela nous est refusé, que nous resterait-il en tant qu’auteur ? Cette question-là, elle m’a terrorisée. »
INFANTILISER LES AUTEURS
Fatou Diomé ajoute qu’elle a essayé de dire ce que la littérature représentait pour elle, et pourquoi elle ne pouvait pas accepter ce formatage.
« Les éditeurs, il y en a qui ont publié des livres. Mais c’est quand même un des rares métiers où quelqu’un vous apprend à faire bijoutier alors qu’il n’a jamais fabriqué un bijou. C’est énorme, quand même. C’est un des rares métiers où vous pouvez avoir quelqu’un qui décide de votre livre, mais qui n’a jamais écrit, même pas une nouvelle, et qui décide de ce qui est bon dans votre livre ou pas. »
« C’est comme si on infantilisait l’auteur et parce que nous, on a besoin de gagner notre vie, eh bien, on doit à un moment donné accepter que quelqu’un nous traite comme des Playmobil. Et ça, moi, je ne peux pas l’accepter. »