Le Journal de Montreal - Weekend
L’hypercommunication : quand trop de mots nuisent à nos vies
Communiquer plus n’est pas synonyme de communiquer mieux. Augmenter la qualité de nos communications plutôt que la quantité permettrait d’économiser beaucoup de temps pour tout ce qui en vaut vraiment la peine. Neuropsychologue et professeur à l’UQAM
Dix textos pour un rendez-vous entre amis. Six textos pour être sûr d’être bien compris. Quatre vérifications de messages en quelques minutes.
Comme plusieurs technologies, les outils de communication numériques ont apporté leur lot d’excès. Plusieurs personnes vivent un excès de communications liées au travail (hyperconnectés) qui réduit leur temps libre. D’autres sont surexposés aux actualités (hyperinformés), ce qui les rend plus anxieux ou déprimés.
L’hypercommunication est aussi un excès de l’ère numérique qui concerne les échanges directs.
Au début de l’essor des textos, en l’an 2000, on s’envoyait en moyenne 35 textos/mois, maintenant c’est plutôt 10-35 par jour selon les personnes et les périodes. Sans compter les courriels, les échanges dans les médias sociaux, etc. Sommes-nous beaucoup plus renseignés ou plus clairs qu’avant ?
Les outils numériques nous permettent d’interagir en direct avec de nombreuses personnes. Tout le monde peut devenir journaliste, critique, psychologue, juge, relationniste, influenceur ou militant. Tout peut être dit sans effort. Nous pouvons nous immerger dans les conversations et être submergés par les conversations parallèles. Et ne pas apporter notre voix peut nous faire sentir exclus. Sans leur dose de messages, posts, etc., plusieurs se sentent sous-stimulés ou en dehors de l’action.
PARLER POUR PARLER
Communiquer est souvent un geste d’attention et une marque de respect.
Dans plusieurs cas, les questions et clarifications permettent de réduire les mauvaises interprétations, les émotions négatives ou les pertes de temps. En plus, développer notre pensée apporte plus de clarté aux autres — ainsi qu’à nous-mêmes — sur notre façon de voir, nos opinions et nos intentions.
Cependant, de nombreuses communications ne rajoutent presque rien à un échange. Plusieurs sont tentés de partager leurs impressions sans attendre, même quand leur niveau d’information sur le sujet est minime. Parfois, nous rajoutons trop de détails ou nous insistons un peu trop. D’autres fois, les interventions contiennent beaucoup de mots, mais peu d’informations utiles. Parfois, nous communiquons pour réduire notre anxiété, pour valider nos points de vue ou pour combattre l’isolement.
Dans nos interactions orales, la socialisation de notre enfance nous a permis de développer des règles implicites de style, de rythme et de durée d’interactions. Dans nos messages écrits, nous n’avons pas eu le temps de développer des codes.
ÇA NUIT À NOTRE SANTÉ
Communiquer beaucoup réduit la productivité, car chaque intervention est une interruption, en plus d’une demande d’attention, de réflexion. De plus, un message est souvent une incitation à répondre et si la réponse est incomplète ou génère de nouvelles questions, elle engendrera plus de messages. Tout cela perturbe notre concentration et entraîne parfois un coût important pour se remettre en selle dans notre activité principale, se rappeler où nous en étions ou quel était notre objectif.
Certaines personnes qui communiquent beaucoup peuvent en dire trop et manquer de discrétion. Elles révèlent trop d’informations. Elles font des gaffes sociales ou de faux pas.
Pour certains, l’hypercommunication entraîne une vérification compulsive des messages et elle perturbe leurs interactions en personne et leur intérêt pour ce qui les entoure. L’hypercommunication écrite peut aussi augmenter notre isolement social quand les messages réduisent les occasions d’avoir des conversations en personne.
En plus, les messages écrits manquent souvent de nuance et d’indices émotionnels présents dans la voix et dans les visages, ce qui peut conduire à de mauvaises interprétations ou générer de l’anxiété chez les interlocuteurs.
Communiquer beaucoup peut aussi amplifier les différences entre les points de vue. L’hypermessagerie et l’hyperpartage ont fait exploser la fréquence des conflits, de la polarisation et de la désinformation. Elle contribue aussi à l’augmentation de l’anxiété, des burn-out et des dépressions.
PRENDRE DU RECUL
Comme consommer, procrastiner ou surfer sur l’internet, communiquer peut nous apaiser temporairement, mais à forte dose, tous ces comportements peuvent amplifier notre anxiété. Il faut parfois prendre du recul par rapport au sentiment d’urgence de nos communications et tenter de faire des messages plus complets, mais moins nombreux. Il faut tenter de réserver des moments débranchés pour nos réflexions et nos besoins. S’il n’y a pas d’urgence, les communications ne doivent pas prendre toute la place.