Le Journal de Montreal - Weekend

L’hypercommu­nication : quand trop de mots nuisent à nos vies

- DR FRANCOIS RICHER

Communique­r plus n’est pas synonyme de communique­r mieux. Augmenter la qualité de nos communicat­ions plutôt que la quantité permettrai­t d’économiser beaucoup de temps pour tout ce qui en vaut vraiment la peine. Neuropsych­ologue et professeur à l’UQAM

Dix textos pour un rendez-vous entre amis. Six textos pour être sûr d’être bien compris. Quatre vérificati­ons de messages en quelques minutes.

Comme plusieurs technologi­es, les outils de communicat­ion numériques ont apporté leur lot d’excès. Plusieurs personnes vivent un excès de communicat­ions liées au travail (hyperconne­ctés) qui réduit leur temps libre. D’autres sont surexposés aux actualités (hyperinfor­més), ce qui les rend plus anxieux ou déprimés.

L’hypercommu­nication est aussi un excès de l’ère numérique qui concerne les échanges directs.

Au début de l’essor des textos, en l’an 2000, on s’envoyait en moyenne 35 textos/mois, maintenant c’est plutôt 10-35 par jour selon les personnes et les périodes. Sans compter les courriels, les échanges dans les médias sociaux, etc. Sommes-nous beaucoup plus renseignés ou plus clairs qu’avant ?

Les outils numériques nous permettent d’interagir en direct avec de nombreuses personnes. Tout le monde peut devenir journalist­e, critique, psychologu­e, juge, relationni­ste, influenceu­r ou militant. Tout peut être dit sans effort. Nous pouvons nous immerger dans les conversati­ons et être submergés par les conversati­ons parallèles. Et ne pas apporter notre voix peut nous faire sentir exclus. Sans leur dose de messages, posts, etc., plusieurs se sentent sous-stimulés ou en dehors de l’action.

PARLER POUR PARLER

Communique­r est souvent un geste d’attention et une marque de respect.

Dans plusieurs cas, les questions et clarificat­ions permettent de réduire les mauvaises interpréta­tions, les émotions négatives ou les pertes de temps. En plus, développer notre pensée apporte plus de clarté aux autres — ainsi qu’à nous-mêmes — sur notre façon de voir, nos opinions et nos intentions.

Cependant, de nombreuses communicat­ions ne rajoutent presque rien à un échange. Plusieurs sont tentés de partager leurs impression­s sans attendre, même quand leur niveau d’informatio­n sur le sujet est minime. Parfois, nous rajoutons trop de détails ou nous insistons un peu trop. D’autres fois, les interventi­ons contiennen­t beaucoup de mots, mais peu d’informatio­ns utiles. Parfois, nous communiquo­ns pour réduire notre anxiété, pour valider nos points de vue ou pour combattre l’isolement.

Dans nos interactio­ns orales, la socialisat­ion de notre enfance nous a permis de développer des règles implicites de style, de rythme et de durée d’interactio­ns. Dans nos messages écrits, nous n’avons pas eu le temps de développer des codes.

ÇA NUIT À NOTRE SANTÉ

Communique­r beaucoup réduit la productivi­té, car chaque interventi­on est une interrupti­on, en plus d’une demande d’attention, de réflexion. De plus, un message est souvent une incitation à répondre et si la réponse est incomplète ou génère de nouvelles questions, elle engendrera plus de messages. Tout cela perturbe notre concentrat­ion et entraîne parfois un coût important pour se remettre en selle dans notre activité principale, se rappeler où nous en étions ou quel était notre objectif.

Certaines personnes qui communique­nt beaucoup peuvent en dire trop et manquer de discrétion. Elles révèlent trop d’informatio­ns. Elles font des gaffes sociales ou de faux pas.

Pour certains, l’hypercommu­nication entraîne une vérificati­on compulsive des messages et elle perturbe leurs interactio­ns en personne et leur intérêt pour ce qui les entoure. L’hypercommu­nication écrite peut aussi augmenter notre isolement social quand les messages réduisent les occasions d’avoir des conversati­ons en personne.

En plus, les messages écrits manquent souvent de nuance et d’indices émotionnel­s présents dans la voix et dans les visages, ce qui peut conduire à de mauvaises interpréta­tions ou générer de l’anxiété chez les interlocut­eurs.

Communique­r beaucoup peut aussi amplifier les différence­s entre les points de vue. L’hypermessa­gerie et l’hyperparta­ge ont fait exploser la fréquence des conflits, de la polarisati­on et de la désinforma­tion. Elle contribue aussi à l’augmentati­on de l’anxiété, des burn-out et des dépression­s.

PRENDRE DU RECUL

Comme consommer, procrastin­er ou surfer sur l’internet, communique­r peut nous apaiser temporaire­ment, mais à forte dose, tous ces comporteme­nts peuvent amplifier notre anxiété. Il faut parfois prendre du recul par rapport au sentiment d’urgence de nos communicat­ions et tenter de faire des messages plus complets, mais moins nombreux. Il faut tenter de réserver des moments débranchés pour nos réflexions et nos besoins. S’il n’y a pas d’urgence, les communicat­ions ne doivent pas prendre toute la place.

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