Le Journal de Montreal - Weekend
Acheter sa maison par catalogue, une idée ancienne !
Au début du 20e siècle, des fermiers de l’Ouest, vivant au milieu de nulle part, pouvaient s’acheter par catalogue une maison abordable et se la faire livrer en morceaux par train.
N’est-ce pas une vieille idée, prise dans les archives de l’histoire, que le gouvernement de Justin Trudeau propose comme solution à la crise du logement ?
Au début des années 1900, le gouvernement libéral de Wilfrid Laurier et son ministre de l’Intérieur Clifford
Sifton font des pieds et des mains pour convaincre des immigrants de venir peupler les prairies canadiennes. Ce n’est cependant pas simple pour ces nouveaux arrivants de s’installer dans ces contrées lointaines, en dehors des grands centres urbains, et de se construire une maison pour loger la petite famille. Plusieurs entreprises vont flairer la bonne affaire.
Le populaire magasin de Timothy Eaton vend ses produits aux Canadiens par catalogue depuis 1884. La brochure s’impose au pays comme une sorte de centre commercial par correspondance, particulièrement pour les habitants des régions éloignées. Dès 1910, on propose aux défricheurs d’acheter des maisons sur plan.
Cette section immobilière du catalogue n’existe pas au Québec, elle est exclusive à l’ouest du pays. On y présente quelques modèles dans le catalogue courant, juste pour titiller les consommateurs. Les personnes intéressées doivent obtenir un feuillet supplémentaire, offert gratuitement, dans lequel on retrouve plus de détails sur les maisons proposées, comme les mesures des pièces, des étages, les matériaux utilisés pour la construction, les modèles de portes et de fenêtres ou les différents types de revêtement pour les planchers.
Quand l’acheteur potentiel jette son dévolu sur un modèle de maison, il doit se procurer les plans plus détaillés de la maison pour la somme de 1 $. Si l’acheteur conclut la transaction, ce dollar est déduit de l’achat de sa propriété. Et savez-vous quoi ? Ça marche fort ! Il y a beaucoup de commandes, bien sûr chez Eaton, mais aussi chez d’autres distributeurs.
Chaque entreprise de vente par catalogue a son modèle d’affaires. Chez Eaton, on fait livrer la charpente de bois de Colombie-Britannique par train et les travaux de menuiserie et d’assemblage sont réalisés à partir de Winnipeg. Une fois montée, la maison est transportée jusqu’au terrain du fermier par un savant système de chariot tiré par des chevaux. Encore à ce jour, des centaines de ces maisons sont toujours bien solidement accrochées au paysage de l’Ouest canadien, certaines y hébergent aujourd’hui la 5e génération de famille d’agriculteurs.
À QUEL PRIX ?
La jolie maison à étage avec une toiture en mansarde, la Earlsfield, est le modèle le plus populaire chez Eaton. En 1912, la Earsfield se vend 696,50 $, frais de transport compris. C’est quand même abordable, en tout cas si on compare avec les prix d’aujourd’hui parce que, toute proportion gardée, le salaire annuel moyen d’un ouvrier en 1912 est de 450 $. Quatre ans plus tard, la popularité du produit fait grimper le prix à 887,50 $, toujours avec les frais de transport du bois, mais pas ceux de la peinture, des clous et du papier peint. Pour la plomberie intérieure complète, il faut ajouter 150 $ et pour un système de chauffage à air chaud, 90 $ de plus.
Le concurrent d’Eaton, la Canadian Aladdin, a un modèle d’affaires légèrement différent. Il vend des maisons prétaillées en usine et les fait livrer en bloc par train jusqu’à la gare la plus proche de l’endroit où vit l’acheteur. Avec la livraison, l’acheteur reçoit, un peu comme chez Ikea, un manuel avec les étapes à suivre pour monter la maison. Dans ses publicités, la Canadian Aladdin prétend que si vous êtes capable de tenir un simple marteau, vous pouvez monter facilement ses maisons.
ICI AU QUÉBEC
Cette pratique d’achat de maison par catalogue était moins répandue dans la Belle Province, mais au tournant de la Seconde Guerre mondiale, des catalogues de design vont proposer des maisons pour les soldats qui rentrent au pays. Les grandes villes canadiennes sont alors confrontées à une importante pénurie de logements.
La Wartime Housing Limited (une société mandatée par gouvernement fédéral) puis la Société centrale d’hypothèque et de logement (aujourd’hui la SCHL) vont tout simplement uniformiser les plans de construction des maisons, pour les bâtir plus rapidement, à moindre coût et en plus grande quantité. Des résidences souvent préfabriquées, construites sans fondation, avec des matériaux non essentiels à l’effort de guerre.