Le Journal de Montreal - Weekend
RIRE DE TOUTES LES COULEURS
Qu’est-ce qu’un « humour éthique » ? C’est, répond le professeur Georges Leroux en préface, « un humour adossé à la recherche de la justice et du bien, [qui] doit se développer sur l’horizon social et politique de l’émancipation ». Tout un défi !
Jérôme Cotte, l’auteur philosophe, dresse pour nous un inventaire de nos principaux humoristes, en les associant à des personnages de l’histoire ancienne ou récente : philosophes (Platon, Socrate, Kierkegaard, etc.), écrivains, dramaturges, etc. Apprendre à rire, c’est apprendre à vivre, affirmet-il d’emblée. Mais comment peut-on encore rire au milieu de tant de misère, au milieu d’un champ de ruines, se demande-t-il encore et toujours ? Or, le rire, admet-il, peut malgré tout servir de levier pour nous émanciper, même s’il peut parfois aussi servir à faire diversion, comme l’humour brut, convenu que pratiquent certains humoristes populaires.
Cotte s’attarde ensuite à définir ce que serait un humoriste éthique et anticonformiste, qui s’engage à changer le vieil ordre. Un exemple parmi tant d’autres : l’auteure anarchiste Anne Archet serait de cette trempe, elle « n’hésite pas à écorcher notre mode de vie et les puissants qui le défendent ».
LIBERTÉ D’EXPRESSION
Mais où se situe la liberté d’expression en humour ? Est-il permis de rire de tout le monde ? En 2016, l’Association des professionnels de l’industrie de l’humour (APIH) a censuré un texte de Mike Ward et de Guy Nantel, sous prétexte que l’assureur ne voulait pas couvrir le sketch. Or, se demande l’auteur, n’aurait-il pas été préférable d’« arguer que les blagues dénigrantes et de piètre qualité du duo Ward-Nantel ne sont pas de niveau dans une soirée voulant célébrer l’humour au Québec » ? La censure ici s’imposerait, selon Cotte et l’humoriste Christian Vanasse, devant cette forme d’humour qui suscite « des rires venus du plus profond de la caverne ».
Yvon Deschamps, Marc Favreau et
Clémence DesRochers sont des cas à part. Cotte dresse un portrait des plus sympathiques de Deschamps : « Tout comme Socrate, Deschamps interroge le public en le confrontant à ses préjugés, ses vérités admises, son ignorance. » Le public a compris que Deschamps joue un personnage et qu’il n’est pas raciste, misogyne, sexiste et antisyndical. Très peu réussissent ce tour de force, plaide-t-il.
La grève étudiante de 2012 a été un grand moment de l’humour contestataire et éthique. On se souvient de Banane Rebelle, « le révolutionnaire de carnaval aux idéaux fruités ». Anarchopanda, la mascotte solidaire qui voulait d’abord entraver le travail des forces antiémeutes en proposant des câlins aux policiers, a été un autre personnage carnavalesque qui, durant cette grève, a pratiqué une forme d’humour éthique.
Finalement, peu d’humoristes trouvent grâce aux yeux du philosophe. Les reproches sont plus nombreux que les éloges, tant les mauvais humoristes – Blancs, évidemment – abondent, tout comme les mauvais journalistes, d’ailleurs.
Restent les bonnes intentions.