Le Journal de Montreal - Weekend
L’ISLANDE EN SI BELLE COMPAGNIE
Jude de Magog rêvait d’Islande et, enfin, il y est pour quelques jours. Son voyage en solitaire devient vite indissociable des gens croisés. Et comme lui, on s’attache.
Suivre pas à pas le jeune Jude, de son arrivée en Islande jusqu’à son départ, c’est se laisser entraîner dans un guide de voyage d’une grande tendresse, avec un soupçon de poésie. Il n’y a qu’à voir son parti pris d’évoquer la capitale Reykjavik par sa traduction française : Baie-des-Fumées. Déjà, un ton s’installe.
Il faut dire que si La complicité des fjords est le premier roman de Victor Bégin, celui-ci a signé d’autres ouvrages et cofondé une revue de création littéraire. Sa manière de raconter est d’une délicatesse maîtrisée et déborde d’images accrocheuses, à l’image du titre du récit.
Son guide romanesque est par ailleurs bien québécois. Jude s’accroche aux comparaisons avec le Québec pour mieux assimiler un pays méconnu, « landau immense flottant dans l’Atlantique ».
Ainsi, il note l’absence d’arbres : donc pas d’automne puisque pas de feuilles orange ! Un fjord dépouillé le ramène en pensée au lac Memphrémagog. Et la rhubarbe pousse en Islande comme ici.
Ou bien il explique à ses hôtes nos expressions populaires ; ce faisant, on en redécouvre la saveur. « Scèner », par exemple, signifie regarder à distance « pour déjouer l’ennui », mais avec cette délicieuse précision : « On scène surtout ses voisins. » Aymeric, à qui tout cela est expliqué, adore !
Cet Aymeric, bel Islandais croisé à la plage géothermique Nauthólsvik, est l’un des nombreux personnages qui ponctuent le parcours de Jude. Celui-ci se laisse séduire pour des aventures d’une nuit ou bien il se laisse conduire, pouce levé, par des conductrices bienveillantes. Sa connaissance de la musique islandaise facilite ses rencontres.
On rentre ainsi dans le quotidien des habitants du pays, d’un barista de Reykjavik à une femme dont les deux fils se sont suicidés, en passant par une artiste nomade qui se livre à des performances sur les plages. Sans oublier Ásgeir, jeune homme auquel Jude s’attache.
DIALOGUE AVEC UN ABSENT
Bégin donne une intéressante consistance à des gens qui ne font pourtant que passer. Il reste que la figure forte à laquelle Jude se réfère est un absent : son ami Jacob, resté à Magog parce qu’il ne sent pas le besoin, lui, d’aller plus loin que Sherbrooke !
Dans sa tête, Jude est en dialogue constant avec Jacob. Que dirait ce sédentaire assumé, si différent de lui, de ses découvertes ? Ce jeu de la confrontation des regards contribue à dépeindre l’Islande sous un jour autre que touristique.
C’est ainsi que quelques jours de voyage nous laissent sur une impression de catharsis pour son protagoniste. Certes, Jude retrouvera Magog, Jacob, sa mère, son travail de rédacteur pour vidéodescriptions, « et chez Ben sur Southière ». Mais quelque chose en lui, ce diamant capteur d’émotions qu’il ne cesse d’évoquer, a bel et bien changé.
Et pour nous, l’Islande s’est bellement laissée voir.