Le Journal de Montreal - Weekend
Chez Eaton, le père Noël arrive avant le 25 décembre
Historiquement, le début des célébrations du temps des Fêtes commence par l’arrivée du père Noël, mais pas par la cheminée, non, dans un magnifique char-traîneau circulant dans un grand défilé. Cette belle tradition qui a lieu quelques semaines avant Noël perdure depuis au moins 100 ans.
Saviez-vous qu’il existe un lien entre Timothy Eaton et le père Noël ? Timothy Eaton a fondé en Ontario la T. Eaton Company, deux ans après la naissance du Dominion du Canada, soit en 1869. Il a ouvert un premier magasin à Toronto. Il a aussi transformé les habitudes de consommation dans les grands commerces en affichant des prix fixes, en obligeant les acheteurs à payer comptant et en innovant avec un ingénieux système de remboursement pour les clients insatisfaits.
Aussi, c’est lui, Timothy Eaton, qui, en décembre 1905, a imaginé l’arrivée précoce du père Noël en ville dans une grande mise en scène. Pas au Québec, en Ontario, devant son magasin Eaton de Toronto.
Ici, au Québec, il faut attendre une bonne vingtaine d’années avant que les enfants de Montréal puissent voir défiler le vieil homme à la barbe blanche sur la rue Sainte-Catherine.
LA RUE SAINTE-CATHERINE
L’histoire de cette artère débute bien humblement, il y a plus de 250 ans. C’était au départ un simple chemin de campagne dans le faubourg SaintLaurent, qui s’est étendu au fil de l’histoire sur une distance qui maintenant est de plus de 11 km. Le premier tronçon a pris naissance à proximité du chemin Saint-Laurent. Si le boulevard SaintLaurent actuel divise la ville en deux, on peut dire que la rue Sainte-Catherine a été, avec le temps, un lieu de rassemblement pour les citoyens de Montréal. La Sainte-Catherine s’est développée au rythme de la croissance urbaine montréalaise, avec ses moments de gloire, mais aussi ses jours plus sombres.
Vers 1870, quand Montréal est devenu le berceau de la révolution industrielle au pays, sa population était évaluée à un peu plus de 100 000 habitants. Le commerce de détail montréalais était alors en pleine expansion. C’est dans ce contexte que la rue Sainte-Catherine s’est transformée en paradis du magasinage. Des « cathédrales du commerce », comme les appelait Émile Zola, ont poussé rapidement. Ces boutiques flamboyantes ont fait la réputation de l’artère commerciale. Les grandes bannières de magasins comme Morgan, Murphy, Ogilvy, Goodwin, Simpson, Dupuis Frères, Henry Birks, Archambault, Eaton et La Baie ont donné du prestige à l’endroit et ont forgé une partie de l’identité du nouveau centre-ville de l’époque.
EATON SAISIT L’OCCASION
En 1925, la T. Eaton Company a pris racine au Québec en achetant la bannière Goodwin, un grand magasin sur la rue Sainte-Catherine. Puis, l’entreprise a transformé l’espace tout doucement, section par section, pour en faire un réel Eaton. Une fois le réaménagement complété, l’endroit était d’une grande élégance. Il comptait six étages de plus, d’autres se sont ajoutés au début des années 30. L’expérience client chez Eaton était sans commune mesure pour l’époque : éclairage éclatant, grandes allées, nombreux ascenseurs modernes. L’Île-de-France, magnifique restaurant de style Art déco conçu par l’architecte Jacques Carlu, attirait une forte clientèle au neuvième étage. Le nom Eaton était si populaire au Québec au début des années 30 qu’on raconte que Timothy Eaton était plus connu que le premier ministre. D’ailleurs, qui était premier ministre du Québec en 1930 ? (Réponse, c’est Louis-Alexandre Taschereau.)
Les dirigeants des magasins Eaton maîtrisaient bien l’art de la stratégie du marketing. Ils ne se sont pas gênés pour sortir le bon vieux père Noël de sa maison au pôle Nord et le faire apparaître avant la nuit du 25 décembre.
LE GRAND DÉFILÉ DE NOËL
Pour animer l’événement lors des premiers défilés, il n’y avait que le personnage du père Noël qui paradait au centre-ville. L’idée, c’était d’attirer les familles dans le magasin. Certaines années, en plus du défilé, Eaton invitait les enfants à se promener en train miniature à travers un univers imaginaire à l’intérieur du magasin, évidemment à l’étage des jouets.
Comme le défilé attirait de plus en plus de gens au fil des années, les organisateurs ont imaginé un plus grand événement avec des chars thématiques, une fée, des lutins, des personnages
costumés et colorés ainsi que des milliers d’enfants souriants pour égayer la parade de Noël. Pour s’assurer de la réussite de l’opération charme, le magasin Eaton orchestrait toute l’activité, payait les dépenses et confectionnait les costumes.
Au plus fort de sa popularité, au tournant des années 50-60, le défilé de Noël de Montréal était diffusé à la télévision et rassemblait au moins 11 000 enfants figurants.
LE PARADIS DU MAGASINAGE
Dès le début décembre, les Québécois venaient régulièrement d’aussi loin que de l’Abitibi ou de Trois-Rivières pour leurs achats de Noël sur la Sainte-Catherine. Ces milliers d’acheteurs profitaient souvent de l’arrivée du père Noël pour découvrir les belles vitrines décorées pour séduire les clients, particulièrement celles de la Maison Ogilvy. Il faut se rappeler que chaque année depuis 1947, les vitrines mécaniques du magasin Ogilvy sur la rue Sainte-Catherine attiraient les curieux et faisaient rêver les amoureux de Noël. Les décors de ses vitrines étaient conçus spécifiquement par le célèbre fabricant de jouets allemand Steiff. Ces mises en scène mécaniques plongeaient les petits et les grands dans un décor bavarois au milieu d’une multitude de magnifiques animaux confectionnés à la main un par un.
L’ESPRIT DE NOËL
Pendant que les parents couraient les bras chargés de paquets dans ce labyrinthe de la consommation à l’ombre des grands magasins, les enfants, quant à eux, attendaient avec impatience les yeux rivés sur la rue. Ils étaient principalement venus voir le vrai père Noël et son défilé. Les plus petits étaient juchés sur les épaules des plus grands et les autres se contorsionnaient pour obtenir le meilleur point de vue.
Imaginez les cris de joie qui résonnaient jusque dans le Vieux-Montréal à la vue de ce gros monsieur à la longue barbe blanche avec son immense poche remplie de cadeaux circulant dans son traîneau tiré par de sympathiques rennes.
Tout était pensé pour rendre les enfants heureux. On leur offrait de petits cadeaux, des biscuits et du chocolat chaud.
On peut dire que la traditionnelle parade du père Noël a contribué au succès de l’entreprise Eaton. À la fin des années 1960, le célèbre grand magasin employait plus de 5000 personnes, et 30 000 clients franchissaient ses portes tournantes chaque jour.
Si l’ouverture des centres commerciaux a provoqué la fermeture de la chaîne de magasins Eaton en 1999, on peut dire que la tradition du défilé du père Noël de Timothy Eaton, elle, est bien enracinée.