Le Journal de Montreal - Weekend
RENDRE NOTRE HISTOIRE ENLEVANTE !
On connaissait le ministre, on suit le chroniqueur, chacun de ces rôles suscitant désaccords ou adhésion. Mais le Joseph Facal romancier devrait faire l’unanimité : quelle histoire, quel talent !
Avec Si tu vois mon pays, Joseph Facal s’est lancé tout un défi : bâtir une saga historique de quelque 1200 pages. Le premier tome intitulé La tempête est paru il y a quelques semaines – le deuxième suivra cet hiver.
Et c’est une réussite ! On s’installe dans le récit en ayant du mal à le lâcher, vrai bonheur de lecture pour le congé des Fêtes.
Ce premier tome se déroule en 1837-1838, période trouble de l’histoire du Québec déjà bien explorée par la fiction. Ce qui distingue l’approche de Facal, c’est qu’il situe la rébellion des Patriotes dans un large contexte, dessinant un juste portrait de société à partir d’un tandem, les frères Lefrançois.
Baptiste, l’aîné, a étudié la médecine à Paris. De retour à Montréal en août 1837, il est confronté aux luttes politiques en cours et aux retrouvailles avec l’entourage de son enfance. Son meilleur ami est à se faire un nom comme avocat ; la soeur de celui-ci s’intègre discrètement au monde des affaires ; et un mauvais garçon d’autrefois devient peu à peu le caïd de Montréal.
Quant à son frère Alexis, journaliste tout feu tout flammes, on le verra cheminer du champ de bataille que fut l’affrontement entre Canadiens et Britanniques à Saint-Eustache, jusqu’aux théâtres parisiens.
Avec ces protagonistes, l’auteur nous entraîne dans un monde au bord de profonds changements. Il y a d’abord le sort du Bas-Canada, sur le point d’être mis en minorité en raison de la fusion avec le Haut-Canada qui surviendra en 1841.
Les affrontements que cela suscite sont relatés avec précision et réalisme, incluant le séjour de Baptiste en prison.
PLUME VIVANTE
Mais Facal ne s’en tient pas qu’à la politique. Baptiste est obsédé par la douleur ressentie lors des interventions médicales, menées à froid ou en assommant le patient d’alcool. N’y a-t-il pas moyen de faire mieux ? Il est tout disposé à tester des approches innovatrices.
Son amie Jeanne, elle, ne rêve pas d’un époux, mais de commerce. Les circonstances font en sorte qu’elle se retrouve dans une entreprise gérant des diligences. Mais elle voit bien le développement du train et du bateau à vapeur : là est l’avenir !
Le dangereux Thomas préfère pour sa part les affaires douteuses. Rapidement, le jeu et la prostitution ne le satisfont plus. L’immobilier recèle bien des promesses ; ce faisant, c’est la croissance de Montréal qui se déploie sous nos yeux…
Tout cela est solidement documenté sans pour autant verser dans le didactisme ; Joseph Facal a une plume si vivante ! On croit aux multiples personnages présentés et on embarque dans les nombreux rebondissements du récit. Sans oublier l’amour qui se faufile de toutes sortes de manières.
Alors on est happés. Et on se dit que le Québec vient de trouver son Ken Follett.