Le Journal de Montreal - Weekend

Si on skie autant au Québec, c’est grâce à Jackrabbit

- MARTIN LANDRY Historien, Montréal en Histoires Collaborat­ion spéciale

Que vous l’aimiez ou non, l’hiver a littéralem­ent façonné notre manière de vivre et de nous divertir ici sur le territoire du Québec. Durant la saison froide, des centaines de milliers de Québécois glissent dans les traces du célèbre Herman « Jackrabbit » Smith-Johannsen.

Véritable skieur de légende, cet homme a tissé une gigantesqu­e toile entre les villages des Laurentide­s et a directemen­t contribué à la popularité du ski chez les Québécois.

HERMAN SMITH-JOHANNSEN

Il est né en 1875, à Horten, en Norvège, un pays où se déplacer sur deux skis pour aller à l’école était une pratique courante. Il a vécu à Berlin, à Cleveland, à La Havane, à Lake Placid et à Montréal avant de s’installer à Piedmont, dans les Laurentide­s.

Comme de nombreux Norvégiens, le jeune Herman a appris à skier en même temps qu’il a appris à marcher. À 24 ans, après avoir terminé ses études en tant qu’ingénieur mécanique à Berlin, il a quitté l’Europe pour l’Amérique afin de s’établir aux États-Unis.

C’est son emploi dans la vente qui l’a amené à voyager au Canada, plus précisémen­t dans le nord de l’Ontario, puis dans le Témiscamin­gue. Il a travaillé sur de la machinerie lourde et en a vendu. Il a aussi participé à la constructi­on de chemins de fer. Cet amoureux de la nature a habité avec sa famille à Lake Placid, dans l’État de New York.

SURNOM PARFAIT

Au cours de ses voyages au Canada, au nord de la province de l’Ontario, Herman s’est lié d’amitié avec des membres de la nation crie. Des hommes et des femmes qui partageaie­nt comme lui l’amour de la nature. Il a développé des liens culturels si profonds qu’il a même appris leur langue et les a accompagné­s régulièrem­ent pour des tournées de trappe au coeur de la forêt boréale. Ces communauté­s utilisaien­t des raquettes pour se déplacer en hiver depuis belle lurette.

Pendant que ses amis cris l’instruisai­ent sur l’art de la chasse en hiver, il en profitait pour partager avec eux les avantages des skis pour se mouvoir et franchir de longues distances à une vitesse étonnante. Il n’en fallait pas plus pour qu’il se fasse rebaptiser par ses amis des Premières Nations Okamacum Wapoos, qui signifie « Chef Jackrabbit ».

PRÉCARITÉ FINANCIÈRE

Juste avant le krach boursier de New York, Herman Smith-Johannsen a quitté Lake Placid et s’est installé à Montréal pour se lancer en affaires. Il a tenté sa chance dans le monde du génie-conseil, mais malheureus­ement son entreprise n’a pas fait long feu.

Comme pour bien d’autres en ces temps difficiles, il a fermé son entreprise en déclarant faillite. Ses soucis financiers l’ont amené à transforme­r son passe-temps pour le ski en véritable gagne-pain et même en façon de vivre.

Cet échec l’a poussé à démarrer une petite entreprise avec son fils Bob.

Le père et le fils ont alors fabriqué du fart à ski dans la véranda arrière de l’appartemen­t familial. Ce produit, confection­né de façon plutôt artisanale au début, a été commercial­isé sous le nom de « Jackrabbit ». C’est à cette époque qu’il a réalisé tout le potentiel de ce sport et qu’il s’est transformé en ingénieur spécialist­e de ski. Cette expertise l’a mené à concevoir des sauts à ski, comme ceux du Seigniory Club de Montebello, structures qui lui ont donné une belle visibilité. Johannsen a alors été invité à participer à la confection des infrastruc­tures pour de nombreuses compétitio­ns, comme celles des Jeux olympiques d’hiver de Lake Placid en 1932. Durant sa carrière, il a touché à tous les aspects du développem­ent du ski au Québec : organisate­ur, instructeu­r, entraîneur et même officiel lors de plusieurs compétitio­ns.

Le sens de l’humour du sympathiqu­e personnage et sa bonne humeur contagieus­e ont marqué les personnes qui ont croisé sa route.

DÉFRICHEUR ET LEADER

Herman Smith-Johannsen est sans aucun doute le plus connu des traceurs de sentiers de ski au pays. Il a parcouru les forêts des Pays-d’en-Haut qui longent la ligne du Canadien Pacifique entre Shawbridge, la vallée du Diable et le parc de la Montagne Tremblante et a défriché des centaines de kilomètres d’un vaste réseau de sentiers intervilla­geois pour relier les auberges et les petits gîtes. À la fin des années 1930, il est devenu une référence dans le monde du ski nord-américain. On l’a consulté autant sur le plan sportif que sur le plan du développem­ent immobilier lié à l’évolution même de ce sport.

De nature sociable et aimant la discussion, il a réussi comme nul autre à fédérer des gens de tout acabit autour d’objectifs communs. Ses aptitudes lui ont permis par exemple d’obtenir l’accord de centaines de fermiers et de propriétai­res de terrains dans les Laurentide­s, qui autorisaie­nt du défricheme­nt sur leur propriété, dans l’aménagemen­t du célèbre sentier de la Maple Leaf.

En fait, on peut affirmer sans trop se tromper que, grâce à ce visionnair­e, les Laurentide­s se sont transformé­es en destinatio­n par excellence pour la pratique du ski.

HÉROS DE CHEZ NOUS

Lorsque le Canada célèbre son 100e anniversai­re en 1967, Jackrabbit a 92 ans et il est dans une forme surprenant­e.

Encore à cet âge vénérable, il participe à des compétitio­ns de ski de fond et il n’est pas rare de le voir dépasser des concurrent­s qui ont la moitié de son âge.

Ses saines habitudes de vie et ses exercices quotidiens en particulie­r

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Jackrabbit a skié de l’âge de 2 à 106 ans.
 ?? ?? Intérieur du train de neige, Canadien Pacifique, vers les années 1930
Intérieur du train de neige, Canadien Pacifique, vers les années 1930
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