Le Journal de Montreal - Weekend
La physicienne canadienne HARRIET BROOKS dans l’ombre des génies atomiques
Première chercheuse canadienne spécialisée en physique nucléaire, Harriet Brooks (1876-1933) mène d’importants travaux sur la radioactivité à Montréal avec son directeur, Ernest Rutherford. Mais alors que celui-ci se dirige vers le Nobel, Harriet prend mari en 1907, ce qui met fin à sa carrière scientifique.
Brillante mathématicienne originaire d’Exeter, en Ontario, Brooks s’inscrit à 22 ans au programme de physique nucléaire de l’Université McGill, où on accueille les femmes depuis 10 ans déjà.
Elle captera l’attention du professeur Ernest Rutherford, qui accepte un poste à Montréal en provenance de Cambridge en 1898. Les collaborateurs signent plusieurs articles ensemble et le futur Nobel n’a que des éloges pour la professeure Brooks. Une de ses méthodes, écrit-il dans Nature à sa mort en 1933, « s’est finalement révélée d’une grande importance pour démêler la série complexe de changements dans les corps radioactifs ».
SCIENCE OU MARIAGE ?
Première diplômée en électromagnétisme de McGill en 1901, elle ne se laisse pas intimider par le fait que le Département de physique ne compte alors qu’une femme pour 16 hommes.
Ses travaux la mènent sur la route de Marie Curie en 1906. La FrancoPolonaise qui demeure à ce jour la seule femme à détenir deux Nobel (physique en 1903 et chimie en 1911) est alors en pleine gloire.
Mais Harriet doit mettre fin à sa carrière scientifique en se mariant à l’âge de 31 ans avec le physicien Frank Pitcher. Elle est alors professeure au Barnard College de New York. L’établissement ne lui donne pas le choix : c’est le mariage ou la science ! Elle se résigne à contrecoeur et démissionne.
Installée à Montréal avec son mari, elle aura trois enfants dont deux connaîtront un destin dramatique ; le premier meurt d’une méningite et le second se suicide. Elle-même décède précocement à 56 ans d’une leucémie.
SUPERORDINATEURS BROOKS
Dans sa biographie publiée en 1992, on rapporte qu’elle avait déploré que le mariage marquât pour de nombreuses femmes la fin de l’aventure savante. « Je pense que c’est un devoir que je dois à ma profession et mon sexe de montrer qu’une femme a le droit à la pratique de sa profession et ne peut être condamnée à abandonner celle-ci simplement parce qu’elle se marie », a-t-elle écrit.
On a pris du temps à honorer la mémoire de cette Montréalaise d’exception que Rutherford considérait du même niveau que Marie Curie. Un immeuble de Chalk River porte son nom depuis 2016 et l’année suivante, un des superordinateurs du gouvernement canadien a été baptisé en son honneur.