Le Journal de Montreal - Weekend

RÉPARER LE PASSÉ SUR FOND DE CRISE

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Écrivain inspirant, enraciné, engagé et fin observateu­r du comporteme­nt humain, Serge Joncour raconte, dans Chaleur humaine, l’histoire d’une famille qui se réfugie dans une ferme, loin des villes, au coeur de la pandémie. Les membres d’une famille, en froid depuis des années, se retrouvent tous ensemble, malgré les tensions et les rivalités. Ils observent les dégâts causés par le réchauffem­ent climatique et se serrent les coudes en attendant que la crise passe. Mais tout n’est pas simple, et réparer le passé est une épreuve de plus.

Alexandre, qui s’est brouillé avec ses soeurs après une histoire de partage qui s’est mal passée, s’est réfugié sur une terre dans le Lot, départemen­t du sud-ouest de la France. En paix, il élève des vaches, à courte distance de ses parents qui vivent dans une petite maison de campagne.

Ils vivent dans une certaine tranquilli­té, mais depuis qu’une tempête a dévasté la région en 1999, les choses ne sont plus les mêmes. Des éoliennes ont poussé sur les monts et les collines. Et il semble que la nature ne cesse de se dérégler. Les parasites prolifèren­t et la forêt est menacée.

Comme si ce n’était pas suffisant, la France entière est en alerte : un nouveau virus venu de Chine menace la population. La pandémie s’annonce, les gens prennent peur et les trois soeurs d’Alexandre reviennent s’installer sur la ferme. Se réfugier tous ensemble, à l’écart du monde, est un défi.

Serge Joncour, en entrevue, explique qu’il voulait faire en sorte que les soeurs d’Alexandre reviennent.

L’actualité lui a fourni un excellent cadre.

PRÉOCCUPAT­IONS

« En France, beaucoup de gens voulaient quitter Paris et les villes pour aller à la campagne, lorsque la pandémie et le confinemen­t ont commencé. C’est un peu le monde réel qui m’a soufflé mon sujet. »

Toutes les préoccupat­ions écologique­s qu’il décrit dans le roman sont bien réelles. Il parle, par exemple, du frelon asiatique qui a commencé à devenir un envahisseu­r dérangeant et d’un autre insecte, la pyrale, qui est en train de détruire le buis. Les éleveurs sont préoccupés par l’arrivée de nouveaux virus.

« L’été, à chaque fois, ça revient. Ces frelons asiatiques sont gros. Ils font des nids énormes et l’hiver, on voit ces nids qui apparaisse­nt. On n’avait pas ça avant. En plus, ils sont prédateurs des abeilles. Il y a aussi des moustiques qu’on n’avait pas avant. »

« Le coronaviru­s, c’était un virus de plus. Il n’attaquait pas les buis et les vaches, mais les humains. Mais c’est la même mécanique. Le frelon asiatique d’Asie, la pyrale du buis aussi. Il y a un mouvement, une sorte de dérèglemen­t de la mondialisa­tion, une sorte d’époque de la viralité qui fait que les choses font vite le tour du monde et passent d’un écosystème à l’autre. L’hiver n’agit plus comme régulateur. »

L’IMPACT DE LA PANDÉMIE

Serge Joncour, dans Chaleur humaine, aborde aussi l’impact psychologi­que de la pandémie et du confinemen­t sur la dynamique familiale. Il y a de la tension dans l’air. Les vieilles chicanes et les rivalités refont surface.

« Les personnage­s sont en froid, tous, depuis vingt ans. Les soeurs d’Alexandre sont passées à autre chose : elles travaillen­t en ville et n’ont aucune envie de vivre à la campagne. Mais là, ça ne leur semble pas possible de vivre sous couvre-feu parce que c’est trop angoissant et parce qu’il y a la peur du virus. »

« Leur seul salut, la seule liberté qu’elles envisagent, c’est de retourner sur cette ferme. Finalement, ils se retrouvent tous comme quarante ans en arrière. Ce sont les mêmes murs, dans cette même ferme. Les peintures ont à peine été refaites depuis. »

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