Le Journal de Montreal - Weekend
L’INTOLÉRANCE QUI TUE
Face à une 21e enquête de Maud Graham, on sera tenté de vanter l’imagination de Chrystine Brouillet. Mais c’est le réel qui l’inspire, et il est parfois sinistre. Son nouveau roman en fait état.
Le thème qui domine Le mois des morts est l’intolérance. D’abord d’un genre qu’on aurait cru disparu : celle d’un père pour l’homosexualité de son fils. Et une autre, de plus en plus présente : celle pour les itinérants.
Un jeune homme sert de fil conducteur dans le récit. Il s’appelle Jacob et il est amoureux de Lucien, fils du riche entrepreneur Marc-Aurèle Jutras et orphelin de mère. Celle-ci est morte de la COVID tout au début de la pandémie, laissant l’adolescent en plein désarroi.
Jacob, lui, est en rupture de ban avec sa famille. Il vit dans un squat, puis fréquente la Maison de Lauberivière, un refuge bien connu à Québec.
Un jour, Lucien disparaît ; Jacob le cherche, mais comprend vite que le père Jutras n’est pas un allié, plutôt une menace. À qui en parler ? Sûrement pas à la police, se dit Jacob qui a quelques larcins à son actif. À Lauberivière, quelqu’un est pourtant fin prêt à l’aider…
De son côté, l’équipe de Maud Graham, l’enquêtrice fétiche de Chrystine Brouillet, tourne déjà autour du dossier. M. Jutras a signalé la disparition de son garçon ; son comportement ne laisse toutefois pas croire à un grand désespoir.
Et puis l’atmosphère est particulière à Québec en ce mois de novembre 2022 : outre la recherche de Lucien, il y a ce cadavre retrouvé dans l’un des escaliers de la ville et un jeune battu à mort non loin de Lauberivière. À quoi s’ajoute un meurtre survenu à Montréal, mais qui a des échos jusqu’à Québec : un spectaculaire assassinat au katana !
DES ENJEUX BIEN CONTEMPORAINS
Fidèle à son habileté pour relier des histoires a priori disparates, Brouillet fera converger ces crimes, en glissant au passage de pertinentes réflexions quand il est question de grande pauvreté, voire de déchéance, sur fond de crise des opioïdes.
Brouillet fait une juste description de ces enjeux bien contemporains, tout comme de la violence gratuite à laquelle les sans-abri sont confrontés et du trouble des policiers qui côtoient ces drames. On lit : « Maud Graham se demandait à partir de quel moment elle s’était habituée à voir plus de misère à Québec. Quand sa vigilance s’était-elle émoussée ? » Tout ceci nous accroche davantage que le portrait de Marc-Aurèle Jutras, plutôt caricatural.
On notera par ailleurs le potentiel de l’une des intrigues secondaires du roman. Elle porte sur les arnaques amoureuses dont sont victimes des femmes qui n’auraient jamais cru se laisser ainsi embobiner. L’une d’elles réagit fortement et cela contribue au suspense.
Il y aurait là matière à encore plus creuser. La solitude des femmes est un filon que des filous exploitent de manière toujours plus raffinée, et ce, dans tous les milieux. Ah, si une Maud Graham arrivait un jour à les déjouer !