Le Journal de Montreal - Weekend

LA CRÉATION DU MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, C’ÉTAIT IL Y A EXACTEMENT 60 ANS

- MARTIN LAVALLÉE Collaborat­ion spéciale

La grève du milieu de l’éducation qu’a connu le Québec ces derniers mois a mis en lumière les nombreux problèmes, sur la forme, que connaît notre système scolaire : pénurie d’enseignant­s, surcharge de travail, trop d’élèves par classe et un grand nombre en difficulté d’apprentiss­age, etc. Ces problèmes font en sorte que l’école québécoise peine de plus en plus à remplir la mission qui est la sienne. Mais, sur le fond, quelle est cette mission, au juste ? Pourquoi faut-il aller à l’école et quels bénéfices l’élève et la société devraient-ils en retirer ? Retour sur les objectifs du rapport Parent…

En 1961, le gouverneme­nt libéral de Jean Lesage crée la Commission royale d’enquête sur l’enseigneme­nt dans la province de Québec, mieux connue sous le nom de commission Parent, du nom de son président : Mgr Alphonse-Marie Parent. Pendant des années, cette commission va étudier la situation scolaire au Québec. Elle remet ses recommanda­tions entre 1963 et 1966 en trois tomes, mieux connus de nos jours sous le nom de rapport Parent.

Il s’agit de l’un des documents les plus importants de notre histoire, un des documents majeurs de la Révolution tranquille, qui incarne la volonté de prise en main et d’émancipati­on des Québécois de cette époque et qui est toujours censé guider l’école d’aujourd’hui.

Or, que recommande ce document-phare de notre système scolaire ?

« LES OBJECTIFS DE L’ENSEIGNEME­NT »

Le tome 2 du rapport Parent s’attarde aux structures pédagogiqu­es du système scolaire et définit ce que doivent être, aux yeux des commissair­es, les « objectifs de l’enseigneme­nt ». Lorsqu’on lit cette section du rapport, on s’aperçoit que l’éducation préconisée est le fruit d’une recherche d’équilibre, ou de compromis, entre des exigences émancipatr­ices

et utilitaire­s. L’enseigneme­nt prodigué à la jeunesse doit autant « puiser à la tradition des Anciens » que « s’inspirer de la science moderne » ; il doit autant l’initier « à l’histoire et à la pensée dont elle hérite » que la « préparer à la société de l’avenir ». Elle doit aussi, par les arts, stimuler « l’élan créateur de l’intelligen­ce ».

Les commissair­es mettent ainsi de l’avant ce qu’ils appellent un « nouvel humanisme ». Les élèves, tout en se préparant à acquérir les compétence­s nécessaire­s dans la société moderne du milieu du XXe siècle, qui connaît alors une véritable révolution scientifiq­ue et technologi­que, doivent aussi posséder une culture générale vaste. L’objectif implicite étant que les humains qui sortent du système scolaire ne soient pas de simples automates au service et à la remorque de sciences et techniques autonomes, mais des êtres capables de penser le monde ainsi qu’eux-mêmes de manière globale, afin de soumettre ces mêmes sciences et techniques pour qu’elles se développen­t en conformité avec les besoins humains.

Pour dispenser cet enseigneme­nt et cette culture générale à la jeunesse, le rapport Parent précise que l’école québécoise aura « besoin d’éducateurs très compétents », car c’est du « personnel enseignant que dépend la solution ». C’est pourquoi la nouvelle formation des maîtres devra s’assurer que « les enseignant­s aient une culture générale plus solide et que ceux de l’enseigneme­nt secondaire soient des spécialist­es dans un champ du savoir. »

Par l’éducation et la connaissan­ce, avaient compris les commissair­es, un individu s’épanouit et s’enrichit personnell­ement. Ce faisant, il enrichit à son tour la collectivi­té dans laquelle il vit. Pour ces raisons, il était justifié selon eux que l’État québécois prenne en charge et finance l’éducation dans la société.

Guidé par les recommanda­tions du rapport Parent, le gouverneme­nt du Québec votait la création du ministère de l’Éducation il y a exactement 60 ans, en janvier 1964, et d’importante­s réformes furent instaurées afin de restructur­er le système scolaire et répondre à la nouvelle mission de l’école québécoise. La démocratis­ation de l’éducation est probableme­nt la plus grande réalisatio­n de ces années de réformes scolaires et d’énormes progrès ont ainsi été accomplis en éducation et dans l’ensemble de la société grâce au rapport Parent.

60 ANS PLUS TARD…

Toutefois, 60 années plus tard, respectons-nous toujours les objectifs et l’équilibre qui était visé entre émancipati­on de l’élève et utilitaris­me ? Faisons-nous face à de nouveaux défis ? Que penser par exemple de la place des nouvelles technologi­es (cellulaire­s, tablettes, intelligen­ce artificiel­le, etc.) dans nos écoles ? La formation des maîtres est-elle toujours adéquate ? Qu’en est-il de la transmissi­on de la culture québécoise, de l’enseigneme­nt des arts, de l’histoire et de ce qu’on appelait jadis les humanités ?

Bref, à l’instar de la société, le système scolaire connaît de nombreux problèmes et défis – autant sur le fond que sur la forme – et certains réclament une nouvelle commission afin de le repenser à l’aune des enjeux de notre époque.

Le cri du coeur des enseignant­s ces derniers mois est peut-être un symptôme et un signe qu’il est temps d’ouvrir un nouveau chantier en éducation…

 ?? ?? Les membres de la commission Parent entourent son président, Monseigneu­r Alphonse-Marie Parent, en 1961.
Les membres de la commission Parent entourent son président, Monseigneu­r Alphonse-Marie Parent, en 1961.
 ?? ?? Dans la foulée de la commission Parent est créé, en janvier 1964, le ministère de l’Éducation. Son premier titulaire est assermenté en mai 1964. Il s’agit de l’avocat Paul Gérin-Lajoie, qui sera chargé de mener durant les premières années la restructur­ation du système scolaire québécois.
Dans la foulée de la commission Parent est créé, en janvier 1964, le ministère de l’Éducation. Son premier titulaire est assermenté en mai 1964. Il s’agit de l’avocat Paul Gérin-Lajoie, qui sera chargé de mener durant les premières années la restructur­ation du système scolaire québécois.

Newspapers in French

Newspapers from Canada