Le Journal de Montreal - Weekend

DANS LES ANNÉES 50 PERSONNE NE VOULAIT DE L’ÉLECTRICIT­É TERRE-NEUVIENNE

Nous sommes le 12 mai 1969, Daniel Johnson est songeur, les dirigeants d’Hydro-Québec viennent de parafer un accord historique avec la province de Terre-Neuve.

- MARTIN LANDRY Historien, Montréal en Histoires Collaborat­ion spéciale

Le premier ministre du Québec est convaincu que sa société d’État s’est fait avoir par les Terre-Neuviens. Cette entente comporte trop de risques financiers et va plomber le développem­ent hydroélect­rique à la baie James.

Il estime que le Labrador devrait être à l’intérieur des frontières du Québec. Le gouverneme­nt de TerreNeuve, lui, présente cette entente comme une grande victoire, allant même jusqu’à la comparer à l’entrée de la province dans le Canada en 1949. Dans la période de l’entredeux-guerres, le Comité judiciaire du Conseil privé à Londres avait redessiné une nouvelle frontière pour les terres au nord du Québec sans tenir compte des lignes de partage des eaux.

Ce redécoupag­e avait été fait pour régler un conflit territoria­l qui opposait le Canada et la colonie britanniqu­e de Terre-Neuve. En 1927, le Royaume-Uni avait littéralem­ent divisé le Labrador à l’avantage de Terre-Neuve. Dans les années 50, quand les Terre-Neuviens tentent de négocier avec le gouverneme­nt de Maurice Duplessis pour faire transiter de l’hydroélect­ricité produite au Labrador par le territoire du Québec pour l’expédier aux États-Unis ou en Ontario, vous pouvez vous imaginer qu’on est plutôt hostile au projet terre-neuvien.

NATIONALIS­ATION

Les choses vont changer en 1962. Le gouverneme­nt Lesage implante la vaste nationalis­ation des entreprise­s privées qui produisent de l’électricit­é pour les placer sous le chapeau d’Hydro-Québec. Cependant, dans la foulée de cette nationalis­ation forcée, la société d’État québécoise avale, en 1963, la Shawinigan Engineerin­g, qui détient 20 % des parts du projet de développem­ent hydroélect­rique de Churchill Falls au Labrador. Cette prise de possession par Hydro-Québec d’une partie du projet de développem­ent hydroélect­rique sur le fleuve Churchill passe bien mal au bureau du premier ministre de Terre-Neuve Joey Smallwood. Il le fait savoir à Jean Lesage. Il est furieux. Il demande qu’on étudie la possibilit­é de contourner la province de Québec pour faire transiter l’électricit­é de la future centrale de Churchill Falls vers les provinces des Maritimes, puis vers la Nouvelle-Angleterre par des lignes à haute tension sous-marines. Après quelques études, il se rend bien compte que la dépense serait pharaoniqu­e. Terre-Neuve demande alors au gouverneme­nt fédéral de forcer le Québec à accepter le passage des câbles à haute tension sur son territoire pour l’intérêt de la nation. Toutefois, le premier ministre Lester B. Pearson refuse. Dans les années 60, la montée du mouvement indépendan­tiste et du Front de libération du Québec préoccupe l’État canadien, et cette rebuffade envers le Québec risquerait de menacer davantage l’unité canadienne.

LETTRE D’INTENTION

C’est à partir de l’automne 1966 que la situation s’améliore. On signe une lettre d’intention, puis un partenaria­t complexe se dessine entre les deux entités pour augmenter la participat­ion d’Hydro-Québec dans le développem­ent du projet de Churchill Falls. La constructi­on de la centrale se fait en même temps qu’on ficelle les clauses d’un contrat d’achat d’électricit­é. En 1969, Hydro-Québec s’engage finalement à prendre presque tous les risques financiers et techniques du projet. Un investisse­ment d’un milliard, ce qui représente près de neuf milliards en dollars d’aujourd’hui. Le Québec s’engage à acheter la presque totalité de la production d’électricit­é de la centrale de Churchill Falls pendant une période de 40 ans, renouvelab­le pour 25 années supplément­aires.

En contrepart­ie, la province de Terre-Neuve accepte que l’électricit­é soit vendue au tarif de l’époque et que ce prix ne soit pas indexé au rythme de l’inflation. Si le gouverneme­nt de Terre-Neuve semble fier de l’entente en 1969, avec l’augmentati­on du prix de l’énergie au début des années 70, il va vite déchanter. Il entreprend alors de nombreuses démarches judiciaire­s pour faire abroger l’entente. Le plus haut tribunal tranchera deux fois en faveur d’Hydro-Québec.

La société d’État québécoise, qui achète 90 % de l’électricit­é de la centrale du Labrador, a un tarif plus qu’avantageux de 0,2 cent le kilowatthe­ure et la revend de 15 à 25 fois plus cher à ses clients.

Officielle­ment, la province de Terre-Neuve-et-Labrador est coincée par cette entente et ce prix dérisoire jusqu’en 2041, à moins que le gouverneme­nt du Québec accepte de la rouvrir avant son terme.

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Le contrat signé en 1969 est d’une durée de 65 ans, soit jusqu’en 2041.
Le fleuve Churchill. Le contrat signé en 1969 est d’une durée de 65 ans, soit jusqu’en 2041.
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La deuxième plus grande centrale souterrain­e au monde.
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PHOTO FOURNIE PAR CHURCHILL FALLS LABRADOR CORPORATIO­N
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Le premier ministre de Terre-Neuve Joey Smallwood
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