Le Journal de Montreal - Weekend
TOUT LE POUVOIR D’UNE MÈRE
Alors que ça pète de partout dans le monde, l’écrivain d’origine irlandaise Colum McCann revient sur la terrible fin du journaliste américain James Wright Foley.
L’histoire a fait le tour du monde. À l’automne 2012, alors qu’il se trouve en Syrie pour écrire des reportages destinés au site de nouvelles américain GlobalPost, le journaliste James Wright Foley – Jim pour les intimes – est capturé et retenu en otage par des djihadistes de l’État islamique. Pendant près de deux ans, il va être battu et torturé dans des lieux gardés secrets. Puis, le 18 août 2014, ses bourreaux vont le conduire en plein désert pour le décapiter sous l’oeil d’une caméra… et diffuser aussitôt cette vidéo sur internet.
« En 2014, quand Jim a été tué, j’ai reçu de nombreux courriels, relate Colum McCann, qu’on a joint chez lui, à New York. Car ce n’est pas la photo où on le voit mort dans le désert qui est devenue emblématique de cette époque, mais celle où, assis dans un bunker, on peut le voir en train de lire l’un de mes livres, Et que le vaste monde poursuive sa course folle. Bien sûr, ça m’a profondément touché. »
À un point tel qu’il décidera d’envoyer un courriel à Diane Foley, la mère de James, pour lui proposer d’écrire sur son fils, ou même sur elle. Mais ensuite, rien. Pas la moindre réponse.
Le coup de théâtre survient six ans plus tard : par le plus grand des hasards, Colum McCann sera amené à parler à l’un des meilleurs amis de James. Et grâce à cet ami, Diane Foley va non seulement entrer en contact avec lui, mais aussi accepter sa proposition de livre.
DES RENCONTRES INCROYABLES
Pour écrire American Mother, Colum McCann a donc passé pas mal de temps avec Diane Foley, une femme qu’il est difficile de ne pas admirer. Il l’a même accompagnée dans une prison de Virginie quand elle a tenu à s’entretenir avec Alexanda Kotey, l’un des assassins de son fils et ex-membre de la cellule terroriste surnommée The Beatles.
« J’ai assisté aux trois rencontres entre elle et Alexanda Kotey, dit-il. J’étais là, à côté d’eux. C’était étrange et déroutant, en partie parce qu’elle a dû lui poser des questions très dures [elle souhaitait notamment savoir pourquoi l’État islamique s’en était pris aux journalistes et aux humanitaires, tous non armés]. Mais ce qui a été incroyable, c’est que Diane a réussi à lui pardonner. Je pense que c’est l’une des plus belles histoires dont j’ai été témoin. Cela dit, quand j’ai commencé à écrire American Mother, je ne voulais pas en faire partie, être l’un de ses personnages. Je voulais que ce livre porte sur son expérience à elle, sur ce qu’elle a vécu et ressenti. Alors, je suis devenu une sorte de mouche journalistique : j’ai vu toutes ces choses se passer et je les ai racontées en essayant d’être aussi honnête que possible pour qu’on puisse entendre la voix de Diane, entendre ses propres mots. »
UN CAUCHEMAR PROTÉIFORME
Est-ce que James Foley aurait pu échapper à sa terrible exécution en plein désert ? Probablement que oui… si les États-Unis avaient accepté de payer pour faire libérer ses otages et les ramener au pays. Mais contrairement à l’Espagne, à la France ou à l’Italie, ils ont refusé mordicus de le faire. Pire, ils ont été jusqu’à menacer Diane de poursuites judiciaires si, d’une manière ou d’une autre, elle tentait de lever des fonds pour acquitter la rançon de son fils. Résultat, c’est James Foley qui l’a chèrement payé de sa vie.
« Quelle horreur ça a été pour Diane, poursuit Colum McCann ! Mais elle a fait en sorte de changer les choses en ce qui concerne la libération des otages américains. Elle a canalisé son chagrin en créant cette merveilleuse fondation qui vient en aide aux familles des otages, qui leur fournit des informations et qui a transformé le paysage des négociations dans ce genre de situation. Elle n’avait pas à faire tout ça, mais elle l’a fait afin de s’assurer que d’autres parents n’aient pas à traverser ce qu’elle a dû traverser. »
« C’est d’ailleurs pourquoi j’ai décidé d’intituler ce livre American Mother, conclut-il. Je pense qu’il y a beaucoup de femmes comme Diane. Et je pense que le message féministe qu’il renferme est un message fort, car ce que Diane dit dans ce livre est très puissant. C’est là tout le pouvoir d’une mère. »