Le Journal de Montreal - Weekend
QUELLE MOUCHE VOUS A PIQUÉS ?
ROMANS D’ICI Et si les insectes se vengeaient de nous ? Et si des expériences des temps passés revenaient nous hanter ?
Mireille Gagné est fascinée par tout le vivant qui entoure les humains. Dans son récit Bois de fer, la narratrice amalgamait la détérioration d’un arbre à l’état de la société. Dans son roman Le lièvre d’Amérique, la protagoniste, toujours pressée, devenait l’animal du titre.
Avec Frappabord, qui paraît dans quelques jours, elle construit un récit à l’horizon d’autant plus inquiétant qu’il est inspiré d’un fait réel : les recherches biologiques qui ont eu cours à Grosse-Île entre 1942 et 1956.
À quoi s’ajoutent des expériences sur les insectes comme arme bactériologique menées par l’armée américaine. Les personnages du roman ont beau être fictifs, il y a de quoi frémir !
L’histoire élaborée par Gagné se déploie parallèlement en 1942 et durant l’été 2024.
Dans le premier cas, Thomas, jeune entomologiste, a été réquisitionné par l’armée canadienne pour contribuer à l’effort de guerre. Il doit suivre, sans poser de questions.
C’est ainsi qu’il se retrouve à Grosse-Île, en plein coeur du SaintLaurent. Des laboratoires ont été aménagés, à propos desquels le plus grand secret doit régner. Thomas y reçoit le mandat de travailler à la propagation d’épidémies à partir d’insectes.
Dans ce cadre, il développe une véritable fascination pour les « frappabords ». Ces mouches sont si agressives qu’elles arrachent la peau en piquant, et semblent même intelligentes !
DU PASSÉ AU PRÉSENT
Mireille Gagné en rajoute quand son roman se transporte en nos temps contemporains. Elle prête parole à un frappabord, et son discours, d’une gourmande sensualité, s’oppose à la froideur des expériences menées par Thomas.
La mouche a envie de peau, de mordre, de sucer le sang… De s’enivrer de désir et de plaisir ! Elle a pour ce faire une cible : Théodore, travailleur d’usine dont le logis, en mauvais état, est envahi par les insectes.
Or, cet été-là, la canicule fait sortir des quantités incroyables de frappabords à Montmagny et dans les environs. C’est là un grand danger. Un homme le sait : il a travaillé à GrosseÎle pendant la guerre, a été en contact avec les recherches qui s’y menaient et a failli en mourir.
Cet homme est le grand-père de Théodore. Mais que peut-il faire, alors qu’il est cloué à un lit d’hôpital ?
ÉMOTIVITÉ TROUBLANTE
Dès les premières lignes, on est fascinés. La menace écologique se terre depuis des décennies, et elle est de surcroît racontée du point de vue de l’espèce qu’on a cherché à transformer. Troublant !
Ça l’est d’autant plus que l’écrivaine attribue à l’insecte une émotivité a priori associée aux humains, avec des mots dont la texture nous emporte. Sans oublier leur pouvoir secret : « Nous ne formons qu’une seule entité, une seule pensée, et c’est bien là une force qui vous échappe. »
Le constat est net : ce ne sont pas les bêtes qui courent à leur perte, mais les humains qui mènent sur elles leurs expériences. Et rien ne s’oublie.