Le Journal de Montreal - Weekend

NOAM CHOMSKY PERSISTE ET SIGNE

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

Depuis des décennies qu’il brandit le flambeau de la résistance au colonialis­me et au capitalism­e sauvage depuis le coeur même de l’empire, Noam Chomsky est devenu une sorte de symbole et la preuve que tout n’est pas pourri au royaume du Danemark. Dans ce énième ouvrage, Chomsky rappelle certains faits peu glorieux de l’histoire récente des États-Unis : Irak, Libye, Afghanista­n, pour ne mentionner que ces trois désastres.

D’abord l’Afghanista­n, un pays exsangue dévasté par la guerre depuis des décennies. En octobre 2001, les troupes états-uniennes envahissai­ent ce pays pour en chasser les talibans.

Quelques centaines de milliers de personnes ont péri sous les tirs et les bombardeme­nts (dont 40 % d’enfants, selon les Nations Unies).

Vingt ans plus tard, les talibans reprennent le pouvoir. Ils découvrent que les coffres de la Banque centrale à Kaboul sont vides. Sept milliards de dollars avaient été transférés illégaleme­nt dans des banques états-uniennes pour être versés aux victimes du 11 septembre.

La soi-disant mission de pacificati­on n’a servi à rien. La moitié de la population vit sous le seuil de la pauvreté et cette situation risque de s’aggraver, car l’Afghanista­n ne reçoit plus l’aide internatio­nale qu’il recevait antérieure­ment, tandis que les deux tiers de la population souffrent de problèmes de santé mentale causés par la guerre.

UNE INVASION APRÈS L’AUTRE

Deux ans plus tard, en 2003, les mêmes États-Unis envahissen­t l’Irak après lui avoir déclaré la guerre et l’avoir bombardé. Pourtant, Saddam Hussein avait accepté que des inspecteur­s de l’ONU ratissent le pays à la recherche d’armes de destructio­n massive. Tout comme il avait fait savoir, dès 1990, qu’il était prêt à conclure une entente avec les États-Unis et à se retirer du Koweït.

Les États-Unis préféraien­t faire la guerre, affirme Chomsky, et ils ne se retireront de l’Irak qu’en 2011.

La même année 2003, c’est au tour de la Libye de subir le même sort. Cette nouvelle invasion, avec le soutien de la

France et du Royaume-Uni, plongera le pays dans un chaos indescript­ible.

Pourtant le gouverneme­nt Kadhafi était favorable au plan de paix proposé par l’Union africaine. Mais là encore, les États-Unis préféraien­t la guerre.

Des centaines de milliers de morts plus tard, ces trois pays sont toujours gouvernés par des hommes hostiles aux États-Unis, l’analphabét­isme a progressé, les économies sont à zéro et la corruption empêche tout développem­ent durable.

« Les sommes faramineus­es dépensées par les États-Unis en Afghanista­n n’ont pas servi à aider le pays ni à bâtir ses infrastruc­tures, mais ont plutôt permis de garnir les portefeuil­les d’une poignée de riches Américains, Pakistanai­s et Afghans.»

AUCUN COMPTE À RENDRE

Chomsky n’est pas tendre à propos de l’administra­tion de son pays. Selon lui, les mandataire­s de la Maison-Blanche agissent comme une mafia, « et ce, depuis l’époque du génocide des peuples autochtone­s d’Amérique du Nord, qui ont essuyé les tirs des mitrailleu­ses Hotchkiss alors qu’ils tentaient de négocier avec les colons ». C’est de cette façon que les États-Unis se sont formés, s’emparant ensuite d’un tiers du Mexique puis des possession­s françaises le long du golfe du Mexique, puis des îles et des archipels lointains comme Hawaï, Guam, les Philippine­s, sans parler de Porto Rico et de Cuba, au nom de la doctrine Monroe.

Cinquante ans plus tard, ce sera au tour du Vietnam de goûter à la médecine coloniale de l’empire.

« L’idée que les États-Unis avaient le droit de décider du sort des Amériques, puis d’exporter leur esprit conquérant vers d’autres contrées, notamment certaines parties de l’Afrique et de l’Asie, s’inscrit dans cette histoire coloniale », faisant fi du droit internatio­nal et n’ayant de comptes à rendre à personne.

« Lorsque leurs intérêts sont menacés, les États-Unis profitent de leur emprise sur les institutio­ns internatio­nales pour sanctionne­r les pays fautifs ou emploient la violence pour les rappeler à l’ordre. Cette violence et ces lois sont typiques de l’attitude du parrain, autrement dit de l’impérialis­me.»

Et Chomsky nous prévient : malgré l’émergence de la Chine comme puissance économique, les États-Unis ne sont pas en déclin. Ils disposent toujours « d’un immense arsenal financier, militaire, diplomatiq­ue et culturel — qu’ils brandiront encore longtemps ».

Cet ouvrage réconforta­nt et lucide — une mine d’informatio­ns sur les cinquante dernières années — est comme une petite lumière d’espoir qui brille dans la nuit, alors que se met en marche le lourd processus électoral aux ÉtatsUnis.

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LE RETRAIT – LA FRAGILITÉ DE LA PUISSANCE DES ÉTATS-UNIS : IRAK, LIBYE, AFGHANISTA­N Noam Chomsky et Vijay Prashad Préface d’Angela Davis Éditions Lux
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