Le Journal de Montreal - Weekend

« Je ne serai jamais sortie de cette violence »

- MARIE-FRANCE BORNAIS

■ Neige Sinno a été récompensé­e par le Prix littéraire Le Monde 2023 et le Prix du roman des Inrockupti­bles.

■ Elle a reçu le Prix Femina 2023.

■ Le roman a été finaliste du prix Goncourt, du prix Médicis et du prix Décembre.

■ L’autrice habite désormais au Mexique.

Récompensé­e par de nombreux prix dont le Femina, le prix littéraire Le Monde, finaliste du Goncourt et du prix Médicis, l’écrivaine française Neige Sinno explique que la littératur­e ne lui a pas permis de sortir vainqueur de l’abjection et ne l’a pas sauvée. Elle raconte, sous forme littéraire, le calvaire qu’elle a vécu, enfant, dans le roman Triste tigre ,etses conséquenc­es. « La littératur­e ne m’a pas sauvée. Je ne suis pas sauvée », écrit-elle.

Neige Sinno a vécu un véritable cauchemar, des abus et des événements très violents dans son enfance. Elle en parle dans le roman Triste tigre et explique, en entrevue, qu’elle ne s’identifie pas trop à la question de la résilience.

« J’ai un peu l’impression que ce concept de résilience, c’est une injonction. C’est devenu une injonction dans le discours de la société : que le but, pour quelqu’un qui a subi un traumatism­e, ça va automatiqu­ement être d’aller mieux par rapport à ce traumatism­e et ça doit être sa priorité dans la vie. »

« Je trouve ça dommage. N’importe quoi qui devient une injonction, en fait, c’est une prison. Je trouve ça super qu’il y ait des gens qui s’identifien­t à cette démarche et qu’ils vont vers là. Déjà, moi-même, je ne me suis pas identifiée, et dans mon texte, ce que j’essaie de faire, c’est d’observer des idées reçues et d’essayer d’être plus libre en analysant et en dépliant un peu ces idées reçues », poursuit l’écrivaine.

La résilience est un peu compliquée pour elle, ajoute Neige Sinno.

« J’ai toujours en tête les gens qui ne sont pas résilients. Les gens qui ne s’en sortent pas. »

« Toutes ces victimes que je vois, qui s’effondrent quand elles racontent leur histoire. Tous ces milliers de gens qui ne sortent pas la tête de l’eau. Ils sont présents, un peu en background dans mon écriture. »

LE FANTÔME D’ELLE-MÊME

« On pourrait imaginer que moi, je suis résiliente, parce qu’aujourd’hui je publie un livre, parce que j’ai fait des études, parce que j’ai une famille », ajoute-t-elle.

« Au tout début du texte, j’ai une citation de Nabokov sur le petit fantôme. À la dernière page du texte, il y a aussi la question du fantôme. J’ai l’impression, moi, que je suis le fantôme de quelqu’un qui n’a pas eu sa chance. Le fantôme d’une personne qui n’existera jamais, en fait. Je ne serai jamais sortie de cette violence qu’on m’a faite. »

L’obligation au bonheur ou à socialemen­t s’en sortir lui pèse.

« C’est un peu le seul discours possible et je le comprends. Quand je raconte à quelqu’un ce que j’ai vécu, on me dit : maintenant, ça va mieux. Parce que c’est trop dur de recevoir ce message-là, que ça ne va pas tant que ça. On fait tous ça. C’est des protection­s qu’on a. Mais à l’intérieur du livre, puisque je suis dans un espace sécurisé où je peux confronter des idées incommodes, je trouvais intéressan­t d’essayer d’être plus juste par rapport à cette chose-là. »

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PHOTO AGENCE QMI, MARIO BEAUREGARD PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS P.O.L
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