Le Journal de Montreal - Weekend

À L’INTÉRIEUR DE SOI, CE CRITIQUE IMPITOYABL­E

- Dre CHRISTINE GROU

Certaines personnes peuvent devenir leur pire ennemi, se critiquant de façon dure, sévère, voire impitoyabl­e. Elles n’exprimerai­ent jamais à l’autre toutes les critiques qu’elles s’infligent pourtant. Pourquoi sommes-nous trop souvent intransige­ants envers nous-mêmes ? Et comment parvenir à adoucir cette voix intérieure qui nous juge beaucoup trop sévèrement ? Psychologu­e et présidente de l’Ordre des psychologu­es du Québec

Brouillant la perception de notre valeur, de notre confiance et de notre potentiel, et ce, dans plusieurs domaines, le fait de se critiquer trop rudement peut « couper nos ailes ».

On risque également de transposer cette perception négative que nous avons de nous-mêmes dans le regard des autres, nous donnant l’illusion qu’ils voient exactement la même chose que nous. Nous serions alors un être incompéten­t, inadéquat, multiplian­t les erreurs et les échecs, selon ce dangereux piège qu’est la projection.

Pourtant, si vous vous donniez la peine de questionne­r vos proches, vous seriez fort probableme­nt surpris, rassurés (et même ravis !), de constater que ceux et celles qui vous entourent ont une opinion bien différente de vous. Vous pouvez d’ailleurs en faire l’expérience avec des personnes en qui vous avez confiance : tentez de remettre en question vos jugements sévères en les confrontan­t à la réalité, et gageons que la perception qu’ils ont de vous sera beaucoup plus favorable que la vôtre !

POUR UNE CRITIQUE… CONSTRUCTI­VE

Cela dit, il ne s’agit pas pour autant de se penser au-dessus de tout, de nier nos difficulté­s, ni encore de nous croire sans faille. Le fait de pouvoir identifier nos erreurs, nos faiblesses et nos limites représente en effet un véritable atout. S’il n’y a rien de mal à prêter l’oreille aux critiques d’autrui – si elles sont respectueu­ses et constructi­ves –, une autocritiq­ue juste et nuancée est tout aussi importante. Cela nous permet en effet de prendre un pas de recul, de mieux analyser nos comporteme­nts, nos pensées, et nos interactio­ns avec les autres. Non seulement l’autocritiq­ue favorise la connaissan­ce de soi, mais elle permet aussi d’apprendre de nos erreurs, de cultiver les apprentiss­ages et elle nous invite au dépassemen­t à travers les entraves et les défis que l’on peut traverser.

Mais en cela comme en tout le reste, un équilibre est nécessaire : « autocritiq­ue » ne signifie pas « autodénigr­ement ». Un monologue intérieur qui permet de nous évaluer adéquateme­nt injecte aussi une bonne dose de réalisme dans notre vie. En effet, quelqu’un qui refuserait d’écouter cette voix et de lui faire une place risquerait d’en souffrir, notamment en répétant les mêmes erreurs, encore et encore…

Par ailleurs, les gens capables de cultiver une bonne estime personnell­e sauront plus facilement évaluer les critiques qu’ils reçoivent des autres en fonction du contexte et des circonstan­ces, en commençant par faire le tri parmi celles-ci : ces commentair­es sont-ils fondés, respectueu­x et constructi­fs ?

À titre d’exemple, les personnes éprouvant des symptômes dépressifs, enclins au perfection­nisme extrême ou à des troubles obsessionn­els, pourraient pour leur part souvent avoir du mal à les départager et à s’emparer trop rapidement de toutes critiques négatives à leur égard (laissant souvent, en prime, les positives de côté !)

S’il est bénéfique de porter une attention aux critiques des autres et à celles que nous formulons envers nous-mêmes (pour peu qu’elles soient justes et constructi­ves), cultiver une voix interne d’encouragem­ent s’avère aussi un contrepoid­s salutaire.

Il est donc aussi crucial de célébrer nos succès et nos bons coups, aussi modestes soient-ils.

Il faut aussi tâcher de faire le deuil une fois pour toutes de la perfection, ou à tout le moins de tenter de garder à l’esprit que les échecs sont partie intégrante de l’expérience humaine. Si cela semble plus facile à dire qu’à faire, cette façon de concevoir les échecs favorise néanmoins notre résilience et notre capacité à rebondir après un coup dur.

DEVENIR SON PROPRE ALLIÉ

On en parle peut-être beaucoup, surtout en ces temps où tout un chacun semble à fleur de peau… mais on n’en parle pas trop : exercée envers soi-même, la compassion est en effet un puissant moyen de neutralise­r des événements douloureux, dévalorisa­nts, négatifs à l’excès. L’autocompas­sion permet en effet de relativise­r nos faiblesses, et d’éviter que notre autocritiq­ue ne devienne trop tyrannique.

Comment nous traitons-nous devant nos fragilités, nos imperfecti­ons, ou face aux aléas de la vie ? Rien de pire que de se demander l’impossible, et ensuite de se taper dessus parce que nous n’avons pas atteint ces objectifs qui au départ étaient irréaliste­s.

Faire preuve d’autocompas­sion, c’est également poser sur soi un regard plus réaliste, plus juste, plus nuancé.

C’est aussi un regard qui nous aide à souligner dignement nos réussites et à relativise­r nos erreurs, plutôt que d’alimenter un négativism­e destructeu­r.

Alors oui, soyons critiques envers nous même, mais avec modération, et cultivons notre enthousias­me devant tout le chemin que nous avons parcouru, et tout ce que nous avons encore à accomplir. Et gardons à l’esprit que l’autocompas­sion ne constitue pas de la complaisan­ce envers soi, mais s’avère un outil puissant nous aidant à naviguer à travers les hauts et les bas de la vie. Comme vous le feriez envers votre meilleur ami, accordez-vous donc toute la bienveilla­nce que vous méritez !

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