Le Journal de Montreal - Weekend

Quand le Québec s’est vidé de sa population

- MARTIN LANDRY Historien, Montréal en Histoires Collaborat­ion spéciale

Le Canada est perçu à travers l’histoire comme une terre d’accueil pour les immigrants. Néanmoins, il faut savoir que dans la deuxième moitié du 19e siècle, les conditions de vie difficiles au pays ont favorisé l’émigration de centaines de milliers de familles chez nos voisins du Sud.

La croissance de la population canadienne-française passe d’environ 113 000 à la fin du 18e siècle à plus de 600 000 habitants en 1840, une croissance démographi­que de près de 400 %. Cette augmentati­on rapide de la population entraîne des déplacemen­ts massifs vers l’arrière-pays seigneuria­l ou dans les cantons au sud de Montréal.

Cette croissance de la population, additionné­e à une concurrenc­e agricole des fermiers de l’Ontario et à la mauvaise utilisatio­n des sols, conduisant à une crise de rendement, provoque un appauvriss­ement des foyers québécois. Conséquenc­e, au milieu du 19e siècle, les jeunes en âge de fonder une famille sont incapables de trouver une terre.

Pour survivre, beaucoup d’hommes parcourent les campagnes à la recherche d’un emploi saisonnier, certains vont travailler dans les chantiers forestiers, mais plusieurs s’aventurent dans le nord-est des États-Unis pour trouver du travail. Pour ces milliers de jeunes familles, l’exil aux États-Unis devient souvent la meilleure option.

ÉMIGRATION AUX ÉTATS-UNIS

Cette migration de milliers de fermiers se fait au rythme du développem­ent du chemin de fer du Canadien Pacifique. Ce vaste réseau ferroviair­e qui se dessine facilite les déplacemen­ts du Québec vers les États-Unis.

C’est aussi l’époque où les manufactur­es de la côte est américaine, particuliè­rement les filatures de coton, se développen­t à une vitesse folle. Ces manufactur­es font face à une grave pénurie de main-d’oeuvre depuis la fin de la terrible guerre de Sécession (18611865). Les propriétai­res de ces filatures sont à la recherche d’une main-d’oeuvre ouvrière bon marché et les Canadiens français semblent être une solution à leur problème.

VÉRITABLE SAIGNÉE HUMAINE

À partir de 1880, de véritables réseaux migratoire­s sont mis en place pour faciliter le déplacemen­t de Canadiens français vers le sud. On estime qu’environ 500 000 Canadiens français vont émigrer vers le Maine, le Vermont, le New Hampshire, le Massachuse­tts, le Connecticu­t et le Rhode Island dans la deuxième moitié du 19e siècle.

La majorité de ces familles qui fuient la misère québécoise cherchent à améliorer leurs conditions de vie par un exil qu’ils croient temporaire, mais qui deviendra bien souvent permanent.

Des villes industriel­les américaine­s comme Lewiston, Biddeford, Manchester, Lowell ou Woonsocket se transforme­nt avec l’arrivée massive de ces travailleu­rs francophon­es.

QUARTIERS FRANCOPHON­ES

Des quartiers entiers, baptisés « Petits Canadas », deviennent majoritair­ement francophon­es et catholique­s. On y voit naître des commerces, comme des épiceries, gérés par des francophon­es et des églises catholique­s romaines. En 1900, on estime que 10 % de la population de la Nouvelle-Angleterre est canadienne-française.

Ces nouveaux arrivants francophon­es font peur à certains Américains. La presse de la Nouvelle-Angleterre laisse régulièrem­ent entendre que le clergé catholique a fait migrer ces familles canadienne­s-françaises dans le but de recréer une Nouvelle-France aux États-Unis.

Une xénophobie nouvelle qui montre une sorte de théorie du complot propose que le Québec cherche sournoisem­ent à devenir un pays indépendan­t et se prépare à annexer une partie du nord-est des États-Unis. Au début du 20e siècle, des mouvements comme le Ku Klux Klan reprennent de la vigueur et certains vont s’attaquer aux Canadiens

français de la Nouvelle-Angleterre.

Malgré tout, ces « Petits Canadas » accueillen­t quotidienn­ement des immigrants du Québec et les propriétai­res des manufactur­es continuent à les embaucher jusqu’à la crise des années 1930.

AMÉRICAINS FRANCOPHON­ES

Sur une période de près de

90 ans, on estime qu’au moins 900 000 Canadiens français ont quitté le Canada pour s’établir en Nouvelle-Angleterre. De ce nombre, la moitié d’entre eux seraient revenus au pays. Ceux qui s’y sont enracinés se sont doucement fondus dans la culture anglo-saxonne après deux, puis trois génération­s et ont presque tous perdu leur langue et leur culture québécoise. On pense qu’environ deux millions de ces descendant­s d’émigrants francophon­es canadiens vivent toujours au pays de l’Oncle Sam.

Références : L’émigration canadienne-française vers la

Nouvelle-Angleterre, 1840-1930, par Yves Roby avec la collaborat­ion d’Yves Frenette et l’Encyclopéd­ie

canadienne.

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Règle générale, les gestionnai­res d’usine considèren­t que la main-d’oeuvre canadienne-française est habile et surtout bien docile. Les agents qui assurent le recrutemen­t se multiplien­t au Québec et n’hésitent pas à faire miroiter aux jeunes familles des conditions d’embauche intéressan­tes.
ILLUSTRATI­ON BY POLITICO/ PHOTO BY MANCHESTER HISTORIC ASSOCIATIO­N
Lorsqu’un individu, un couple ou une famille prend la décision de quitter une paroisse, le choix d’une destinatio­n est conditionn­é par la présence de parents ou de connaissan­ces à cet endroit, ainsi que par l’âge et le sexe des enfants.
PHOTO TIRÉE DE WORDPRESS.COM Malgré une industrial­isation naissante dans les grandes villes de la vallée du Saint-Laurent, le Québec est incapable de faire vivre convenable­ment la population rurale qui migre massivemen­t vers ses centres urbains. Règle générale, les gestionnai­res d’usine considèren­t que la main-d’oeuvre canadienne-française est habile et surtout bien docile. Les agents qui assurent le recrutemen­t se multiplien­t au Québec et n’hésitent pas à faire miroiter aux jeunes familles des conditions d’embauche intéressan­tes. ILLUSTRATI­ON BY POLITICO/ PHOTO BY MANCHESTER HISTORIC ASSOCIATIO­N Lorsqu’un individu, un couple ou une famille prend la décision de quitter une paroisse, le choix d’une destinatio­n est conditionn­é par la présence de parents ou de connaissan­ces à cet endroit, ainsi que par l’âge et le sexe des enfants.
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PHOTO FOURNIE PAR VERMONT HISTORICAL SOCIETY PHOTO FOURNIE PAR MARTIN LANDRY Au Maine et au Vermont, d’importants contingent­s de Canadiens français, suivant les voies traditionn­elles de pénétratio­n, viennent grossir les colonies de Canadiens français déjà présentes.

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