Le Journal de Montreal - Weekend
UN CHIEN DE GARDE NÉCESSAIRE
Parler du FRAPRU (Front d’action populaire en réaménagement urbain), c’est évoquer immanquablement celui qui l’a animé pendant près de 38 ans : François Saillant. Il fut un temps où on le voyait régulièrement dans les médias, à tel point que sa voix nous était devenue familière. Même si bien sûr le FRAPRU n’est pas l’oeuvre d’un seul homme et que des centaines de militants se sont engagés à ses côtés un peu partout à travers le Québec, on peut dire sans se tromper qu’il a porté à bout de bras le combat de milliers de personnes pour le droit au logement, un logement abordable et salubre.
Depuis son départ du FRAPRU, en décembre 2016, l’organisme communautaire est moins présent, il me semble, et c’est bien dommage, car la crise du logement est loin de s’être atténuée au Québec. Au contraire, elle s’est même amplifiée avec la venue de milliers de nouveaux arrivants en quête d’une vie meilleure.
Dans son ouvrage, François Saillant retrace l’histoire du logement social au Québec et au Canada, surtout à partir de la période qui commence avec la Seconde Guerre mondiale.
Au Québec, le premier ministre Maurice Duplessis boude le programme fédéral de construction de logements sociaux, de sorte qu’il ne permettra qu’un seul projet, les Habitations Jeanne-Mance, dans le Red Light, un quartier malfamé de Montréal, où 788 HLM seront construites dans les années cinquante.
Il faudra attendre les belles années du militantisme de la fin des années 60 et du début des années 70 pour voir apparaître les premiers comités de citoyens, les associations de locataires et les premières coopératives d’habitations et de logements gérés par des organismes sans but lucratif (OSBL). Les deux premières verront le jour dans le quartier Côte-des-Neiges et dans Pointe-SaintCharles, à Montréal. La coopération entre Ottawa, Québec et les municipalités donnera aussi de beaux résultats, avec la rénovation du quartier de la Petite-Bourgogne à Montréal.
C’est également à cette époque que la spéculation foncière commence à faire des ravages. Opérations bulldozer, démolitions et incendies criminels font disparaître des quartiers entiers dans plusieurs grandes villes du Québec, soi-disant parce qu’on y trouve trop de taudis insalubres, pour faire place à des immeubles à logements inaccessibles aux populations délogées.
Le FRAPRU est né en juin 1979 de toutes ces associations de défense des locataires et comités de citoyens qui se sont multipliés un peu partout au Québec. On sent la nécessité de se regrouper pour être plus efficaces face aux promoteurs immobiliers qui, bien souvent avec l’appui des autorités municipales, sont en train de transformer le paysage urbain, entre autres les quartiers populaires, en le vidant de ses résidents moins fortunés pour en faire des quartiers pour rupins. C’est à cette période qu’apparaît un mot nouveau : gentrification.
AU FRONT
Les revendications du FRAPRU et du RCLALQ (Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec) recevront un accueil favorable du Parti Québécois, alors au pouvoir. C’est dans ce contexte qu’est née, en octobre 1980, la Régie du logement appelée à statuer sur les augmentations annuelles du prix des loyers, entre autres, bien que locataires comme propriétaires demeurent insatisfaits.
Le FRAPRU, parfois avec l’appui d’artistes et de troupes de théâtre, sera de tous les combats : construction de logements sociaux et de coopératives d’habitation, augmentations et gel des loyers dans les HLM, contrôle universel et obligatoire des loyers, conversion de logements locatifs en condominiums, reconversion d’anciens sites industriels en développements domiciliaires, coupures dans les programmes sociaux en habitation, allocation logement, itinérance, évictions, etc.
Ses principaux moyens d’action sont connus : manifestations et piquetages, entre autres lors de réunions ou congrès des partis politiques, occupations de locaux, interventions dans les médias et sur la place publique, publication de dossiers et manifestes sur la pauvreté, le logement, les sansabri. Il faut dire qu’entre 1981 et 1986, « 379 855 ménages locataires québécois consacrent alors plus que la norme de 30 % de leurs revenus pour se loger. C’est 32 % de plus que cinq ans auparavant ». Dans certains cas, c’est 50 % des revenus familiaux qui sont consacrés au logement.
Il est indéniable que le FRAPRU a été et continue d’être un empêcheur de tourner en rond. Il a transformé notre paysage urbain. Car le FRAPRU peut revendiquer plusieurs victoires. Tous les gouvernements, aussi bien à Ottawa qu’à Québec, doivent désormais compter sur la persévérance de ce chien de garde de nos droits élémentaires.