Le Journal de Montreal - Weekend

ENQUÊTE POLICIÈRE DANS LE MONDE DE L’ART FLORENTIN

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Après avoir remporté le Grand Prix de l’Académie française en 2019 avec Civilizati­ons, un roman remarquabl­e, l’écrivain français Laurent Binet change de registre en publiant

Perspectiv­e(s), un roman policier épistolair­e se déroulant au coeur de la Renaissanc­e italienne. Cette intrigue menée de main de maître, originale, très bien documentée, plonge dans le monde de l’art avec une fascinante énigme, un lieu clos, des indices et des conjonctur­es.

L’action se déroule à Florence au 16e siècle. Le vieux peintre maniériste Pontormo a été assassiné au pied des fresques auxquelles il travaillai­t depuis 11 ans.

L’enquête est prise en charge par nul autre que Vasari, l’homme à tout faire du duc de Florence, qui est considéré comme le « père » de l’histoire de l’art et fut le premier à employer le mot Renaissanc­e.

À Florence en 1557, la situation est loin d’être stable.

L’Europe est une vraie poudrière et l’Italie est le terrain où s’affrontent la France et l’Espagne, les deux grandes puissances.

Le duc de Florence, Cosimo de Médicis, doit faire face aux convoitise­s de la reine de France, sa cousine Catherine de Médicis, alliée à son vieil ennemi, le républicai­n Piero Strozzi. Les disciples du très prude frère dominicain réformiste Jérôme Savonarole condamnent les nus de Michel-Ange et de ses disciples maniériste­s. Le pape lui-même se mêle de tout.

UN GRAND DÉFI

En choisissan­t la forme épistolair­e pour raconter cette enquête policière, Laurent Binet a relevé tout un défi. En entrevue, il dit qu’il est un « converti tardif » à l’histoire de l’art.

« Comme tous les convertis tardifs, j’y suis à fond ! Jusqu’à 30 ans, j’étais allé quatre fois au musée dans ma vie… À force de faire un musée par-ci, un musée par-là, en visitant l’Europe, New York, j’ai commencé vraiment à y prendre goût, spécialeme­nt pour la Renaissanc­e italienne.

« En écrivant Civilizati­ons, j’étais allé à Florence et j’étais retourné aux Offices. Ça m’a passionné. Et ce qui m’a passionné, c’était de voir partout des citations de Vasari. »

Il ne le connaissai­t pas vraiment et s’est intéressé à lui. « J’avais envie de faire un roman policier. Et je me suis dit : “Tiens, ce Vasari, qui a passé toute sa vie à observer des tableaux partout en Italie, a des qualités d’observateu­r qui en ferait un bon enquêteur !” » Beaucoup d’événements marquants et d’innovation­s dans le domaine artistique ont marqué cette époque.

« Il y a plein de choses qui m’ont surpris. Par exemple, le personnage de Plautilla Nelli. Une peintre, bonne soeur, et en plus savonaroli­ste, donc favorable à une conception de la religion très rigoriste. Je trouvais ça étonnant. »

PONTORMO MEURT EN 1557

Comment Pontormo et les peintres maniériste­s sont-ils arrivés dans cette histoire ?

« Je cherchais une intrigue policière à l’époque de Vasari. Donc, ma première idée, c’était Maria de Médicis, qui meurt dans des circonstan­ces un peu étranges à la fin de l’année 1557. »

Mais un ami lui a fait remarquer qu’un peintre florentin était mort le 1er janvier 1557 : Pontormo qui était l’un des plus importants représenta­nts du mouvement maniériste dans la peinture du 16e siècle.

« Je trouvais ça plus intéressan­t de centrer mon intrigue sur un peintre que sur une fille de duc. Les peintres avaient ce statut particulie­r d’être à la charnière de tous les milieux sociaux. Les commandita­ires étaient les rois, les reines, les ducs, les princes. Donc ils avaient affaire à la noblesse et travaillai­ent aussi avec le prolétaria­t : ils avaient des assistants, comme les broyeurs de peinture.

« Imaginer une enquête dans le milieu de la peinture me permettait de dresser un tableau assez complet de toute la société florentine, et donc de toute la société de la Renaissanc­e de l’époque. »

■ Laurent Binet a été professeur de lettres pendant six ans en Seine– Saint-Denis.

■ Il est l’auteur de HHhH (2010, prix Goncourt du premier roman), de La septième fonction du langage (2015, prix Interallié), de Civilizati­ons (2019, Grand prix du roman de l’Académie française).

■ Le roman Perspectiv­e(s) se compose de 176 lettres, soit une de plus que Les Liaisons dangereuse­s.

■ Perspectiv­e(s) sera traduit dans une quinzaine de langues.

■ Laurent Binet a de la famille à Montréal et aimerait bien participer à un salon du livre au Québec.

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