Le Journal de Montreal - Weekend
L’ÂGE DE TOUT DIRE
ROMANS D’ICI Les années passent, mais pas l’envie d’écrire. À 90 ans, Gilles Archambault offre un nouvel ouvrage à savourer, de l’ordre de ses plus inspirés.
Peut-être parce que le grand âge libère de toutes les contraintes, il y a quelque chose de jubilatoire à lire Vivre à feu doux, le tout récent recueil de nouvelles que signe l’inépuisable Gilles Archambault.
A priori, la vie de ses protagonistes semble pourtant éteinte, repliée, marquée par la tristesse. C’est sans compter le regard acéré de l’écrivain qui sait cibler le défaut dans la cuirasse ou l’incongruité du quotidien. Et il n’y a pas d’âge pour apprécier le trait !
Ainsi, de ce Marc, qui fut scénariste et auteur de théâtre, mais qui maintenant s’y ennuie ferme : « Je suis parti à la fin du premier acte, presque heureux de déranger cinq spectateurs manifestement sous le charme. » Il faut bien bousculer le ronron. Tout comme mentir est « une façon comme une autre de participer à la vie », lit-on un peu plus loin.
Et qu’est-ce que l’amitié ? Laisser comme toujours couler une larme au moment attendu quand notre ami récite un poème ? Souhaiter profondément renouer des liens après des années de bouderie ?
Ou bien constater, à la mort de celui qui nous était indissociable, qu’en fait il nous ennuyait… Elle fait mouche, la nouvelle Funérailles !
On dira la même chose de l’entrée en matière du délicieux texte Mes passés : « J’ai tout fait pour éviter de participer à cette réunion de vieux écrivains. Nous sommes attablés sur une estrade, tous les quatre. À des degrés divers de décrépitude physique et mentale. » Et ça parle, ça parle !
CYNISME ET OBSERVATIONS
La force d’Archambault, c’est de mêler ce cynisme à de sages observations. Ainsi de la nouvelle Rentrée scolaire.
Un homme est alité depuis des heures à l’urgence, ce qui le ramène « au désarroi qu’il avait ressenti il y a soixante-dix ans en entrant pour la première fois à l’école ». Mais y aurat-il quelqu’un ici pour le soutenir, à l’égal de sa première institutrice ? Jolie manière de souligner que la vie est une boucle, à laquelle nos sociétés ne se sont pas ajustées.
Et quand les vieux renâclent contre l’inculture de la jeunesse, notent-ils qu’ils n’ont eux-mêmes pas « ouvert un livre depuis au moins trois ans ». Livres pour lesquels les écrivains se tourmentent, mais qui sont oubliés « au bout de deux mois ». Fi des accroires, Archambault voit les faits tels qu’ils sont !
C’est d’ailleurs l’essence de sa dernière nouvelle qui le met en scène avec cet insondable questionnement : au fond, qu’est-ce qui a de l’importance ?
« J’aime en quelque sorte mon insignifiance », écrit-il encore. Que l’on vive sa vie en s’agitant ou en se tenant en retrait, il est vrai que cela conduit à la même fin. Mais cette implacable lucidité est aussi un superbe panache que l’écrivain sait toujours brandir.