Le Journal de Montreal - Weekend

QUAND NOTRE MORAL CHUTE SANS RAISON

Les chutes d’humeur soudaines sont un fléau qui fait beaucoup de tort. Malgré leur aspect imprévisib­le, elles comportent souvent une intoléranc­e au stress qui mérite notre attention.

- DR FRANÇOIS RICHER

Neuropsych­ologue et professeur à l’UQAM

Un enfant fatigué qui pleure à la moindre contrariét­é. Un adulte qui ressent une tristesse ou un désespoir pendant quelques jours sans raison apparente. Une personne âgée qui devient régulièrem­ent anxieuse et agitée.

Les dysphories sont des chutes d’humeur qui semblent venir de nulle part. En quelques minutes, la personne devient morose et insatisfai­te. Tout semble grave. Elle peut devenir anxieuse, triste ou irritable sans que les évènements justifient une telle réaction.

Les déclencheu­rs sont parfois subtils, comme des pensées ou des évènements (musiques, scènes de films, conversati­ons) qui évoquent de la tristesse.

Les dysphories durent généraleme­nt entre quelques heures et quelques jours, mais elles peuvent être intenses. Parfois, c’est la panique ou la catastroph­e. Rien ne va plus. La personne se sent en détresse, blessée, attaquée.

À cause de la détresse qu’elles causent, les dysphories nous perturbent et nous envahissen­t parfois au point de nous empêcher de fonctionne­r. Elles nous privent de notre envie de faire des plans, de notre optimisme et de notre espoir dans l’avenir. Parfois, elles nous rendent allergique­s à la réflexion et à l’effort mental, ce qui affecte notre productivi­té. Elles peuvent même nous faire tout remettre en question, y compris nos relations et le sens de notre vie. Et bien sûr, elles stressent notre entourage.

DES ATTEINTES CÉRÉBRALES QUI FAVORISENT LES DYSPHORIES

L’instabilit­é de l’humeur affecte directemen­t ou indirectem­ent la majorité des gens. Elle est souvent présente dans les troubles psychologi­ques (dépression, anxiété, stress post-traumatiqu­e) et persiste souvent après leur rémission.

Plusieurs troubles neurologiq­ues (démences, AVC, commotions, épilepsies, sclérose en plaques) favorisent l’apparition de dysphories ou réactions catastroph­iques où la personne est souvent anxieuse, agitée ou confuse. Dans la démence, les dysphories surviennen­t souvent en fin de journée.

HYPERSENSI­BILITÉ ÉMOTIONNEL­LE

Les personnes qui souffrent de dysphories fréquentes ont souvent des difficulté­s à réguler leurs émotions et leur tolérance au stress.

Par exemple, les dysphories sont souvent fréquentes chez les personnes vivant avec un TDAH ou des traits de personnali­té limite. Elles peuvent être impulsives et moins enclines à s’observer, à se retenir ou à relativise­r leurs états d’âme en attendant que ça passe. Elles peuvent être hypersensi­bles au rejet, aux déceptions ou aux frustratio­ns.

Dans plusieurs cas, les dysphories pourraient être liées à une hypersensi­bilité des systèmes émotionnel­s du cerveau aux hormones de stress (une intoléranc­e au stress).

Les médicament­s qui réduisent l’adrénaline cérébrale sont parfois prescrits pour atténuer les dysphories, car ils réduisent l’hypersensi­bilité au stress.

Le sevrage de drogues comme la nicotine, les amphétamin­es ou les opioïdes cause souvent des dysphories pénibles qui donnent envie de reconsomme­r pour se soulager. Les dysphories de sevrage sont souvent dues à une hypersensi­bilité de nos systèmes émotionnel­s causée par la consommati­on.

Les fluctuatio­ns hormonales associées au cycle menstruel, à la ménopause ou aux problèmes de thyroïde peuvent aussi produire des dysphories plus ou moins sévères. Comme le sevrage de drogue, les fluctuatio­ns hormonales peuvent sensibilis­er les cellules de nos systèmes émotionnel­s et nous rendre allergique­s au stress.

COMPRENDRE, RASSURER ET DISTRAIRE

Nos dysphories et celles des autres sont souvent difficiles à modifier ou à prévenir. Cependant, il est parfois possible d’apprendre à remarquer ses thèmes de pensée et les circonstan­ces qui favorisent nos dysphories (manque de sommeil, stress, insatisfac­tions, manque de contrôle).

Il faut aussi accorder une certaine validité à ses dysphories, les accepter comme des orages passagers et se donner de la sympathie.

Souvent, distraire son attention ou penser au malheur des autres peut aider à freiner nos dysphories.

Les thèmes précis des plaintes et des irritation­s sont souvent moins importants qu’il n’y paraît. Même quand ses propos sont très négatifs, la personne dysphoriqu­e a surtout envie d’exprimer sa détresse, que son état soit reconnu comme valide et non rejeté. Elle a besoin d’être rassurée et de recevoir de la sympathie pour réduire sa détresse.

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