Le Journal de Montreal - Weekend
QUAND NOTRE MORAL CHUTE SANS RAISON
Les chutes d’humeur soudaines sont un fléau qui fait beaucoup de tort. Malgré leur aspect imprévisible, elles comportent souvent une intolérance au stress qui mérite notre attention.
Neuropsychologue et professeur à l’UQAM
Un enfant fatigué qui pleure à la moindre contrariété. Un adulte qui ressent une tristesse ou un désespoir pendant quelques jours sans raison apparente. Une personne âgée qui devient régulièrement anxieuse et agitée.
Les dysphories sont des chutes d’humeur qui semblent venir de nulle part. En quelques minutes, la personne devient morose et insatisfaite. Tout semble grave. Elle peut devenir anxieuse, triste ou irritable sans que les évènements justifient une telle réaction.
Les déclencheurs sont parfois subtils, comme des pensées ou des évènements (musiques, scènes de films, conversations) qui évoquent de la tristesse.
Les dysphories durent généralement entre quelques heures et quelques jours, mais elles peuvent être intenses. Parfois, c’est la panique ou la catastrophe. Rien ne va plus. La personne se sent en détresse, blessée, attaquée.
À cause de la détresse qu’elles causent, les dysphories nous perturbent et nous envahissent parfois au point de nous empêcher de fonctionner. Elles nous privent de notre envie de faire des plans, de notre optimisme et de notre espoir dans l’avenir. Parfois, elles nous rendent allergiques à la réflexion et à l’effort mental, ce qui affecte notre productivité. Elles peuvent même nous faire tout remettre en question, y compris nos relations et le sens de notre vie. Et bien sûr, elles stressent notre entourage.
DES ATTEINTES CÉRÉBRALES QUI FAVORISENT LES DYSPHORIES
L’instabilité de l’humeur affecte directement ou indirectement la majorité des gens. Elle est souvent présente dans les troubles psychologiques (dépression, anxiété, stress post-traumatique) et persiste souvent après leur rémission.
Plusieurs troubles neurologiques (démences, AVC, commotions, épilepsies, sclérose en plaques) favorisent l’apparition de dysphories ou réactions catastrophiques où la personne est souvent anxieuse, agitée ou confuse. Dans la démence, les dysphories surviennent souvent en fin de journée.
HYPERSENSIBILITÉ ÉMOTIONNELLE
Les personnes qui souffrent de dysphories fréquentes ont souvent des difficultés à réguler leurs émotions et leur tolérance au stress.
Par exemple, les dysphories sont souvent fréquentes chez les personnes vivant avec un TDAH ou des traits de personnalité limite. Elles peuvent être impulsives et moins enclines à s’observer, à se retenir ou à relativiser leurs états d’âme en attendant que ça passe. Elles peuvent être hypersensibles au rejet, aux déceptions ou aux frustrations.
Dans plusieurs cas, les dysphories pourraient être liées à une hypersensibilité des systèmes émotionnels du cerveau aux hormones de stress (une intolérance au stress).
Les médicaments qui réduisent l’adrénaline cérébrale sont parfois prescrits pour atténuer les dysphories, car ils réduisent l’hypersensibilité au stress.
Le sevrage de drogues comme la nicotine, les amphétamines ou les opioïdes cause souvent des dysphories pénibles qui donnent envie de reconsommer pour se soulager. Les dysphories de sevrage sont souvent dues à une hypersensibilité de nos systèmes émotionnels causée par la consommation.
Les fluctuations hormonales associées au cycle menstruel, à la ménopause ou aux problèmes de thyroïde peuvent aussi produire des dysphories plus ou moins sévères. Comme le sevrage de drogue, les fluctuations hormonales peuvent sensibiliser les cellules de nos systèmes émotionnels et nous rendre allergiques au stress.
COMPRENDRE, RASSURER ET DISTRAIRE
Nos dysphories et celles des autres sont souvent difficiles à modifier ou à prévenir. Cependant, il est parfois possible d’apprendre à remarquer ses thèmes de pensée et les circonstances qui favorisent nos dysphories (manque de sommeil, stress, insatisfactions, manque de contrôle).
Il faut aussi accorder une certaine validité à ses dysphories, les accepter comme des orages passagers et se donner de la sympathie.
Souvent, distraire son attention ou penser au malheur des autres peut aider à freiner nos dysphories.
Les thèmes précis des plaintes et des irritations sont souvent moins importants qu’il n’y paraît. Même quand ses propos sont très négatifs, la personne dysphorique a surtout envie d’exprimer sa détresse, que son état soit reconnu comme valide et non rejeté. Elle a besoin d’être rassurée et de recevoir de la sympathie pour réduire sa détresse.