Le Journal de Montreal - Weekend
LE MYTHE DU DÉRÈGLEMENT CHIMIQUE DU CERVEAU
Nos difficultés psychologiques sont moins souvent dues à des dérèglements chimiques généraux qu’à des fragilités de nos circuits cérébraux.
En santé mentale, les explications réalistes sont trop rares et les hypothèses simplistes trop répandues.
Ainsi, d’après certains, la dépression serait due à un manque de sérotonine, car on sait qu’augmenter la sérotonine dans le cerveau peut parfois aider les états dépressifs.
Pourtant, la sérotonine n’a pas d’effet chez une grande proportion des personnes déprimées et, au mieux, prend plusieurs semaines à faire effet.
Plusieurs troubles de santé mentale ont été associés à des dérèglements en dopamine (schizophrénie, TDAH, addiction) ou d’autres molécules impliquées dans l’activité cérébrale.
LE CERVEAU N’EST PAS UNE SOUPE
Les traitements pharmacologiques des maladies cérébrales se sont surtout concentrés sur des substances qui ont un effet diffus dans le cerveau.
Ces substances affectent majoritairement des circuits de modulation qui ajustent la sensibilité du cerveau grâce à des hormones ou modulateurs comme la sérotonine, l’adrénaline, la dopamine ou leurs cousins.
À cause de leur influence très large, ces modulateurs peuvent affecter de nombreuses fonctions cérébrales comme l’attention, la motivation ou la motricité et ils sont donc loin d’une intervention ciblée. Un peu comme prendre un café avec beaucoup de sucre pour une blessure au pied.
Cependant, le fonctionnement du cerveau ne dépend pas seulement du dosage de quelques ingrédients chimiques.
Les explications simplistes peuvent semer la confusion et elles n’aident ni à mieux comprendre ce qui se passe dans notre cerveau quand ça va mal, ni à mieux prédire qui est plus à risque, ni à mieux gérer les difficultés psychologiques.
DES CIRCUITS PLUS OU MOINS SENSIBLES
Notre cerveau est composé de circuits distincts comme ceux qui contrôlent les différentes émotions. Nos systèmes émotionnels ont des effets communs comme la réaction de stress qui nous mobilise, mais ils ont chacun leurs déclencheurs distincts et leurs sensibilités distinctes.
La sensibilité de nos circuits émotionnels est façonnée tout au long de notre vie.
Quand ils se développent chez le foetus et le bébé, nos circuits sont façonnés par nos gènes, par la santé physique et mentale de notre mère et par de nombreux facteurs affectant le développement du cerveau (oxygène, nutrition, infections, toxines, troubles métaboliques).
Nos circuits émotionnels sont aussi façonnés par nos expériences qui créent de nouvelles associations entre des évènements et des émotions. Par les interactions avec nos proches. Mais aussi par les valeurs et priorités exprimées par notre entourage, et bien sûr par les évènements négatifs (accidents, maladies, abus, traumatismes) et positifs (éducation, rencontres, expériences marquantes) qui jalonnent notre vie.
Nos circuits émotionnels sont aussi sensibles à l’inflammation (commotions, infections) et à l’état des mécanismes de soutien des cellules (sommeil, santé vasculaire, antioxydants).
Par exemple, si nos circuits de peur ont été sensibilisés par un de ces facteurs, nous pouvons développer de l’anxiété. Nos circuits de peur peuvent s’emballer en allumant de nombreuses pensées ou souvenirs effrayants à la moindre occasion. Ils peuvent aussi être sensibilisés par des dysfonctionnements dans d’autres circuits comme ceux qui évaluent nos priorités et freinent nos envies de réagir.
EXPLIQUER LES DIFFICULTÉS POUR RASSURER ET POUR COMPRENDRE
Donc, nous avons intérêt à aller au-delà des explications en termes de dérèglement chimique. Une explication plus réaliste des mécanismes à l’origine des difficultés de santé mentale aide à rassurer les gens. Elle peut réduire le sentiment de perte de contrôle, la détresse et la honte qui accompagnent souvent ces problèmes psychologiques. Elle peut aussi nous aider à mieux comprendre les fragilités de chacun et à garder sa motivation pour surmonter nos difficultés.