Le Journal de Montreal - Weekend
NOUS, LES « ETHNONATIONALISTES » ?
Il est de bon ton aujourd’hui de se montrer plus catholique que le pape lorsqu’il est question d’immigration. Une question, un doute, une demande d’information, une statistique et on passe pour raciste, pour quelqu’un qui a la phobie des « étrangers ». Dans l’essai Nous, les autres, Toula Drimonis, journaliste et chroniqueuse anglo-montréalaise d’origine grecque, accuse les Québécois sans comprendre leur combat pour la survie d’une culture francophone en Amérique.
Combien, parmi ces « autres » dont il est question dans cet ouvrage, savent d’où nous venons ? Combien connaissent notre combat pour la survie, et pas juste celle de notre langue ? Combien savent que nous aussi sommes l’« autre » dans cette majorité anglophone nord-américaine et qu’on a connu dans notre chair propre le mépris et la discrimination, qui sont autant de formes de racisme ?
NÉS POUR UN PETIT PAIN
Je suis né d’une famille de neuf enfants dans l’est de la ville, alors que la richesse établissait ses frontières entre l’ouest opulent et anglophone, et l’est francophone et pauvre. À la maison, nous n’étions pas riches.
L’hiver, flottait, dans la maison, une forte odeur d’huile à chauffage qui servait à alimenter la petite fournaise qui réchauffait tant bien que mal notre logis. Nous portions une sorte de scapulaire accroché au cou avec un carré de camphre censé éloigner les maladies contagieuses comme la scarlatine, la rougeole, la picote et tutti quanti.
Certains voisins n’avaient pas suffisamment d’argent pour acheter l’huile à chauffage et on se promenait dans la maison avec son parka sur le dos, sa tuque et ses mitaines. D’autres n’avaient pas pu payer leur compte d’électricité et la compagnie HydroQuébec leur avait tout simplement coupé l’alimentation électrique.
Les Canadiens français travaillaient dans des swet-shops. Mes oncles ont tous laissé leurs poumons dans des moulins à coton, dans des mines ou sur les cheminées des pétrolières de l’est de la ville qui empoisonnaient les environs. En règle générale, ils mouraient avant de pouvoir profiter de leur maigre pension et ne réussissaient pas à accumuler assez d’argent pour pouvoir se payer du gros luxe. Nous étions des porteurs d’eau et des scieurs de bois, comme on disait à l’époque. Nés pour un petit pain. Pourtant, ce pays, c’était nos ancêtres qui l’avaient défriché de peine et de misère.
Personne n’était raciste, et s’il se trouvait un immigrant dans le voisinage, il était le bienvenu parce que nous étions tous dans le même bateau.
Il nous arrivait peut-être de rire de son « drôle » d’accent ou de son nom « bizarre », mais c’était sans malice, ils étaient nos amis, les censeurs n’ayant pas encore inventé toutes ces soi-disant mutations du racisme systémique.
RESPECT DE NOTRE CULTURE
Qui, parmi ces « autres », connaît le poème de Michèle Lalonde, Speak White, qui résume bien notre situation de colonisés et de damnés de la terre ? « Speak white and loud/qu’on vous entende/de Saint-Henri à Saint-Domingue/ oui quelle admirable langue/pour embaucher/donner des ordres/fixer l’heure de la mort à l’ouvrage… »
Parmi mes rares amis, on trouve des Kim Thuy, des Boucar Diouf, des Gregory Charles, des Dany Laferrière, des Florent Vollant, des Pedro Ruiz, des Pan Bouyoucas, des Akos Verboczy aux côtés des Gilles Vigneault, Claude Dubois, Pauline Julien, Claude Gauthier, VictorLévy Beaulieu, Pierre Perrault, etc.
Pour moi aussi, « l’immigration n’est pas un concept abstrait dont on discute entre les murs d’une tour d’ivoire ».
Je vois les visages de ma famille, de mes oncles et tantes, de mes voisins, héros et héroïnes anonymes qui se sont tués à l’ouvrage sans bien souvent profiter des beautés et des bontés de la vie, je vois ceux parmi mes amis et connaissances qui sont morts sans avoir vu ce pays naître et pour lequel ils ont tant lutté.
Il faut lire le livre de Drimonis parce qu’il est un condensé de tout ce qui s’oppose au rêve de construire un pays québécois, brandi par les « ethnonationalistes » que nous serions.
Non, madame Drimonis, les Québécois ne favorisent nullement l’uniformité, l’homogénéité et l’intolérance, nous plaidons simplement pour le respect de notre culture et idiosyncrasie, comme le font tous les peuples qui aspirent à la liberté.