Le Journal de Montreal - Weekend

LE POIDS DES SOUVENIRS

ROMANS D’ICI Comment se construit-on intérieure­ment ? Quels genres de souvenirs forment un individu ? Mélissa Verreault nous convie à une plongée qui brassera son héroïne, et son lectorat !

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Ça ne va pas bien dans la vie de Mélisa : une écrivaine qui n’arrive plus à écrire, de l’anxiété qui remonte, un sentiment de décalage. Même une tarentule émerge de l’emballage de verres qu’elle vient de se procurer !

Fabio, son fabuleux mari, lui propose d’aller passer un week-end à Montréal, histoire de se ressourcer, pendant que lui veillera sur leurs triplées. La pause est appréciée.

Mais voilà que dans le train du retour, elle tombe sur Francis Bouchard. Celui qu’elle pourchassa­it de son amour à l’école secondaire et qui la fuyait avec autant de conviction ! Quelque vingt ans plus tard, il adopte maintenant le mode séduction.

Alors Mélisa replonge, non seulement dans son kick d’adolescent­e, mais dans une foule d’anecdotes de sa jeunesse. De quoi remplir sans peine 400 pages de roman.

Sous une autre plume, on pourrait craindre le fouillis. Mais Mélissa Verreault, dont la Mélisa du roman est l’alter ego, fait tenir sans mal les divers morceaux de vie qu’elle éparpille sous nos yeux – recette, partition, petite annonce à l’appui !

Ilyades scènes très fortes dans La nébuleuse de la Tarentule, particuliè­rement tout ce qui tourne autour de l’amitié adolescent­e.

Comment être acceptée d’un groupe et qui en contrôle l’accès ; à l’inverse, comment se joue insidieuse­ment le rejet. Surtout quand on est une enfant précoce et curieuse de tout – donc agaçante aux yeux des autres.

CONSTATS SOCIOLOGIQ­UES

Les blessures qui en résultent restent longtemps. On le mesure quand des années plus tard, Mélisa croise par hasard Anne-Julie, qui n’a rien perdu de son mépris à son endroit. Le jeu d’humiliatio­n subtile reprend ses droits et il nous est parfaiteme­nt rendu.

À l’inverse, l’explosion de colère de la mère de Mélisa est jouissive quand celle-ci finit par lui parler des avances d’un oncle libidineux. Le père, lui, minimise. Et pourtant son amour pour sa fille est réel, il traverse le roman.

Il est aussi question de disparités sociales. Quand la jeune Mélisa, d’un milieu modeste, se retrouve à côtoyer des milieux plus aisés, cette amoureuse des mots est en mesure de constater que même le vocabulair­e y diffère.

De la même manière, la chaîne de dons frauduleux dans laquelle s’enfonce sa grand-mère souligne les fausses promesses de prospérité. Le stigmate de l’étudiante de région débarquée à Montréal est lourd aussi à porter. Tout au long de son récit, Mélissa Verreault livre ainsi d’implacable­s et ironiques constats sociologiq­ues.

Se glissent enfin le drame et le deuil, qu’une enfant peut nier pour arriver à vivre. Il faut parfois des années avant que les voiles tombent et que la réalité reprenne ses droits.

C’est d’ailleurs le fond du propos de Verreault : quel est le vrai poids des souvenirs ? Ce questionne­ment est universel et c’est pourquoi ce roman richement raconté nous emporte autant.

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400 pages
LA NÉBULEUSE DE LA TARENTULE Mélissa Verreault XYZ 400 pages
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