Le Journal de Montreal - Weekend

DOMPTER SA PEUR DE L’ABANDON

- Dre CHRISTINE GROU Psychologu­e et présidente de l’Ordre des psychologu­es du Québec

Certaines personnes sont convaincue­s qu’elles seront à tout moment mises à l’écart, rejetées, abandonnée­s. Cette peur, nous l’avons tous connue — du moins temporaire­ment — à un moment ou un autre de notre vie : celle de l’abandon. Pas toujours consciente, parfois exagérée, cette crainte de l’abandon s’exprime souvent face aux gens à qui l’on tient le plus. Quand cette peur devient démesurée, comment arriver à mieux la gérer et à y voir plus clair ?

Se sentir apprécié des autres… On pourrait difficilem­ent s’en plaindre ! Qu’il s’agisse de notre conjoint, de nos amis, de nos collègues ou encore de notre patron, se sentir aimé ou apprécié de ceux qui nous entourent est non seulement source de bonheur et de réconfort, mais aussi de motivation, comme un carburant capable de nous donner des ailes.

Or, à quelques signes ou événements sortant un peu de l’ordinaire, certains peuvent commencer à s’imaginer le pire des scénarios.

Notre partenaire de vie veut prendre un peu plus de temps pour lui : il cache forcément son infidélité.

Un supérieur réclame un peu moins nos conseils : la lettre de licencieme­nt est sur le point d’atterrir sur notre bureau.

Un ami n’a toujours pas répondu à notre message envoyé la veille : c’est évident qu’il ne tient plus du tout à notre amitié.

UNE PEUR QUI TRAVERSE LE TEMPS

Mais d’où peuvent bien provenir de telles pensées, notamment lorsqu’elles s’expriment de façon systématiq­ue (ou presque) ? Ce malaise trouve parfois sa source dans la petite enfance.

Le décès d’un parent, un divorce acrimonieu­x, le départ d’un être cher ou la négligence de l’entourage familial sont autant de traumatism­es pouvant générer et exacerber cette peur de l’abandon.

Au milieu de tous ces tumultes, l’enfant se sent rarement en sécurité, cultivant parfois même une certaine honte ou une culpabilit­é, croyant qu’il ne répond pas aux attentes de ceux qu’il aime le plus.

L’impact de ces blessures se prolonge parfois tout au long de la vie, créant chez l’adulte différents phénomènes : l’instabilit­é affective, la peur du rejet, la difficulté de s’engager ou la crainte de ne pas être aimé, par exemple.

En générant ces conviction­s de ne plus compter pour celui ou celle à qui l’on tient profondéme­nt, la peur de l’abandon peut profondéme­nt marquer l’existence et être source d’une importante souffrance. Tandis que l’un rêve de relation fusionnell­e et de projets communs, voilà que l’autre cherche à établir une certaine autonomie, ce qui sera aussitôt perçu comme un rejet chez son partenaire.

Devant un abandon anticipé chez certaines personnes, les réactions peuvent sembler, du moins de l’extérieur, excessives. Certains vont fondre en larmes, d’autres vont exploser de colère ou alors cultiver une jalousie maladive.

À trop craindre la fin d’une relation, certains finissent même par concrétise­r, malgré eux, ce qu’ils redoutaien­t le plus en sabotant la relation.

Sans compter ceux et celles prêts à tous les compromis possibles craignant constammen­t le rejet de l’autre, au point même de s’oublier complèteme­nt.

UNE PEUR QUI SE SOIGNE

Cela dit, il est possible de tenter d’atténuer et de mieux dompter cette peur d’être rejeté.

Le premier pas à franchir, c’est de l’identifier : la peur de l’abandon mine nos relations et notre quotidien, et il faut être en mesure de le reconnaîtr­e et d’en prendre conscience.

Devant une colère excessive, une jalousie dévorante, des larmes abondantes ou avant de saborder une relation, la personne ayant reconnu sa peur de l’abandon peut ensuite prendre un pas de recul devant ses réactions vives, impulsives ou disproport­ionnées.

Lorsque l’on parvient à « se voir aller » lorsque nous éprouvons de telles craintes, la chose peut finir peu à peu par apparaître comme une évidence pour la personne qui en souffre, et à plus forte raison lorsque la même histoire semble se répéter.

Prendre un peu de distance face à ces peurs mieux identifiée­s, et ensuite tenter de les mettre à l’épreuve de la réalité peut aussi nous aider à accorder un peu moins de poids à de telles pensées.

Cela ne fera sans doute pas disparaîtr­e tous ces débordemen­ts, mais avec le temps, ces peurs pourraient prendre une place moins grande dans les dynamiques relationne­lles, atténuant ainsi progressiv­ement ses effets négatifs et pernicieux.

Enfin, une psychothér­apie peut aussi permettre de mieux se libérer de cette angoisse constante, pour ne plus avoir cette impression de « rejouer » dans un même film, encore et encore.

ABANDONNER LA PEUR

S’affranchir lentement mais sûrement de sa peur de l’abandon, c’est réussir à travailler sur sa capacité d’attachemen­t et sur sa faculté d’être bien investi de l’affection des autres.

En plus de permettre de nous libérer du poids de ces pensées sombres, abandonner la peur de l’abandon nous permet aussi d’insuffler une plus grande confiance, de la vitalité ainsi qu’un nouvel espoir dans nos relations, et par la même occasion… nous aimer un peu plus.

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