Le Journal de Montreal - Weekend

Policier héroïque et héros olympique

- MARTIN LANDRY Historien, Montréal en Histoires Collaborat­ion spéciale

Étienne Desmarteau a remporté la médaille d’or aux Jeux olympiques à Saint-Louis en 1904. On a longtemps jugé cette médaille comme la première remportée par un athlète affichant les couleurs du Canada. Pourtant, cette médaille considérée comme historique ne fait pas l’unanimité chez les historiens.

Certains croient plutôt que l’honneur aurait dû revenir à George Orton qui, quatre ans avant Étienne Desmarteau, avait remporté une médaille d’or aux Jeux olympiques de Paris à l’épreuve de course à obstacles sur 2500 mètres. L’ambiguïté réside dans le fait qu’en 1900, lors de ces Jeux dans la Ville Lumière, le Canada n’avait pas encore de délégation olympique officielle. Orton avait participé aux Olympiades comme représenta­nt de l’Université de Pennsylvan­ie. Il portait donc les couleurs des États-Unis lors de sa victoire.

D’autres maintienne­nt qu’Étienne Desmarteau est le premier Canadien médaillé d’or olympique de l’histoire canadienne, si l’on ne tient pas compte de la compétitio­n de golf tenue aux

Jeux de Saint-Louis en 1904. En effet, le golfeur George Seymour Lyon a aussi remporté la victoire. Cependant, parce que le golf n’était pas reconnu comme une discipline officielle et avait été retiré des compétitio­ns olympiques pendant une centaine d’années, la médaille de Desmarteau est devenue plus emblématiq­ue.

Bref, chose certaine, Étienne Desmarteau est assurément le premier Québécois à remporter une médaille d’or aux Jeux olympiques en athlétisme. Le contexte dans lequel il gagnera sa médaille fera de lui une légende.

NAISSANCE D’UNE LÉGENDE

Étienne Desmarteau (baptisé Joseph-Étienne Birtz) naît à Bouchervil­le en 1873. Il grandit entouré d’une belle grande fratrie de sept enfants élevés dans la pure tradition canadienne-française. Il est encore aux couches quand la famille déménage à Montréal.

Le jeune Joseph-Étienne aime jouer dehors et faire de l’activité physique, mais n’est pas tellement vaillant en classe. Comme beaucoup de jeunes Québécois, il abandonne l’école assez tôt pour mettre à profit sa force physique et gagner un peu d’argent à l’usine. On sait qu’il travailler­a comme ouvrier à la fonderie de la Canadian Pacific Foundry, puis qu’il profitera, en 1901, d’une vague d’embauche pour la police de Montréal afin de postuler comme agent de la paix. Il faut dire qu’Étienne a des prédisposi­tions physiques pour l’emploi. Il mesure 6 pi, pèse 208 lb et est particuliè­rement costaud.

En plus de ses attributs physiques, c’est un homme droit, brave et discipliné, ce qui fait de lui un policier modèle. Il est aimé et admiré par l’ensemble de ses collègues policiers, il se fait particuliè­rement remarquer par ses patrons quand il maîtrise un dangereux pyromane qui s’apprêtait à faire brûler un commerce dans lequel se trouvaient quatre enfants.

Le policier Desmarteau attire aussi l’attention des entraîneur­s d’un prestigieu­x club sportif (le plus vieux au Canada), l’Associatio­n des gymnastes amateurs de Montréal (M.A.A.A.). Desmarteau est particuliè­rement en forme, il est rapide et surtout très fort.

AVENTURE OLYMPIQUE DE 1904

L’agent Desmarteau commence à s’entraîner avec le club et performe dans plusieurs discipline­s de l’athlétisme. En 1902, il remporte deux compétitio­ns prestigieu­ses, le Championna­t du monde des poids lourds et le Championna­t du monde junior au lancer du marteau. Le plus impression­nant, c’est que les deux épreuves se déroulaien­t le

même jour, à une heure d’intervalle.

Ces succès l’incitent à demander un congé à ses patrons pour profiter d’une opportunit­é sans commune mesure. Pour la première fois de l’histoire, les Jeux olympiques traversent l’Atlantique et sont présentés aux États-Unis, dans la ville de SaintLouis, au Missouri.

À l’époque, la délégation canadienne n’était pas tellement structurée et les athlètes devaient payer les dépenses pour se rendre aux compétitio­ns. Malheureus­ement pour Desmarteau, ses patrons refusent de lui accorder un congé. Convaincu de ses chances de victoire, il démissionn­e de la police. Il prend donc la route du Missouri, sans emploi, mais heureuseme­nt et modestemen­t soutenu par la M.A.A.A.

Les Jeux olympiques de Saint-Louis auxquels a participé notre Québécois étaient des Jeux bien bizarres. L’événement sportif était amalgamé à des journées anthropolo­giques. On assistait alors à des compétitio­ns dans lesquelles on faisait s’affronter des Autochtone­s de tous les continents dans un but plutôt raciste. On cherchait à évaluer les capacités physiques des indigènes et prouver la supériorit­é des capacités des athlètes à la peau blanche. Des mascarades sportives mettaient en scène par exemple des affronteme­nts entre pygmées et Autochtone­s de Nations nord-américaine­s.

Les jeux de Saint-Louis avaient aussi été intégrés à l’Exposition universell­e, ce qui fait que les compétitio­ns sportives ont été un peu noyées dans des exposition­s culturelle­s et scientifiq­ues. De plus, le calendrier des compétitio­ns sportives s’était étendu sur plus de quatre mois. Vous comprenez pourquoi plusieurs parlent de cette Olympiade comme d’un événement chaotique. Lors de ces jeux qui accueillen­t les athlètes de 12 pays, les représenta­nts des États-Unis raflent presque toutes les médailles en athlétisme. Du jamais-vu ! Ce qui est encore plus exceptionn­el, c’est qu’une des deux médailles qui échappent aux Américains est celle que notre policier québécois gagne. Oui ! Oui ! Étienne Desmarteau ne fait pas que remporter une médaille d’or au lancer du poids de 56 lb, il la remporte dans un raz-demarée de médailles américaine­s !

GLOIRE ÉPHÉMÈRE

Vous pouvez imaginer qu’à son retour en ville, il est accueilli comme un véritable héros par ses collègues de travail de la caserne no 5 de la police de Montréal. Évidemment, ses patrons n’ont d’autre choix que de le réembauche­r à son poste de policier à

la caserne rue Chennevill­e.

L’année suivante, en juillet 1905, il bat un nouveau record mondial au lancer du poids (56 lb) en hauteur. Il a 32 ans, il est l’un des plus grands athlètes de son époque, rien ne semble pouvoir freiner ses ardeurs, sauf la maladie. Durant un de ses entraîneme­nts, il souffre d’un malaise. On diagnostiq­uera plus tard qu’il est atteint de la fièvre typhoïde. Il faut savoir que jusqu’à ce que l’eau des aqueducs de la ville soit chlorée, cette fièvre-là affectait régulièrem­ent les Montréalai­s. Étienne Desmarteau, un des premiers héros athlètes québécois, meurt de façon précipitée le 29 octobre 1905.

La médaille d’or de Desmarteau et celles des autres athlètes canadiens après lui deviendron­t des bougies d’allumage pour de nombreux jeunes sportifs au pays, particuliè­rement en natation, en aviron, en boxe, en athlétisme, et bien sûr au hockey.

À Montréal, le Club sportif M.A.A.A. a entraîné plusieurs de ces Olympiens, comme les médaillés d’or George Hodgson en natation aux Jeux de Stockholm en 1912 et Myrtle Cook McGowan au 4 x 100 mètres relais à Amsterdam en 1928.

Aujourd’hui, de nombreux athlètes québécois contribuen­t à faire rayonner le Canada sur la scène sportive mondiale.

 ?? PHOTO BANQ ?? Gymnase du club sportif M.A.A.A.
PHOTO BANQ Gymnase du club sportif M.A.A.A.
 ?? PHOTO BANQ ?? Le champion olympique Étienne Desmarteau
PHOTO BANQ Le champion olympique Étienne Desmarteau
 ?? PHOTO ENCYCLOPÉD­IE DU CANADA ?? Étienne Desmarteau au lancer de poids aux Jeux olympiques de Saint-Louis en 1904
PHOTO ENCYCLOPÉD­IE DU CANADA Étienne Desmarteau au lancer de poids aux Jeux olympiques de Saint-Louis en 1904
 ?? ??
 ?? ??
 ?? PHOTO ARCHIVES VILLE DE MONTRÉAL PHOTOS DOMAINE PUBLIC ?? Au début du
20e siècle, malgré quelques améliorati­ons, les conditions sanitaires et la qualité de l’eau potable sont souvent pitoyables à Montréal. À la suite de l’épidémie de fièvre typhoïde de 1910, le conseil municipal de la métropole, probableme­nt inspiré par les travaux publics amorcés dans les grandes villes du nord des États-Unis, vote des crédits pour améliorer le réseau d’aqueducs de la ville.
PHOTO ARCHIVES VILLE DE MONTRÉAL PHOTOS DOMAINE PUBLIC Au début du 20e siècle, malgré quelques améliorati­ons, les conditions sanitaires et la qualité de l’eau potable sont souvent pitoyables à Montréal. À la suite de l’épidémie de fièvre typhoïde de 1910, le conseil municipal de la métropole, probableme­nt inspiré par les travaux publics amorcés dans les grandes villes du nord des États-Unis, vote des crédits pour améliorer le réseau d’aqueducs de la ville.
 ?? ?? Fondée en 1881, l’associatio­n joue un rôle prédominan­t dans le développem­ent sportif au Canada. James Morris, l’un des membres, s’est inspiré du logo du club, composé d’une roue et d’ailes, lorsqu’il est devenu propriétai­re des Red Wings de Detroit.
Fondée en 1881, l’associatio­n joue un rôle prédominan­t dans le développem­ent sportif au Canada. James Morris, l’un des membres, s’est inspiré du logo du club, composé d’une roue et d’ailes, lorsqu’il est devenu propriétai­re des Red Wings de Detroit.
 ?? ?? En 1902, Theodore Roosevelt, nouvelleme­nt élu comme président des États-Unis, impose la tenue des Jeux à Saint-Louis au même moment que l’Exposition universell­e. Son objectif est de dynamiser positiveme­nt la ville alors aux prises avec des tensions raciales et des scandales de corruption.
En 1902, Theodore Roosevelt, nouvelleme­nt élu comme président des États-Unis, impose la tenue des Jeux à Saint-Louis au même moment que l’Exposition universell­e. Son objectif est de dynamiser positiveme­nt la ville alors aux prises avec des tensions raciales et des scandales de corruption.

Newspapers in French

Newspapers from Canada