Le Journal de Montreal - Weekend

QUAND LE SILENCE EST D’OR

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

Toute forme de bruit sera abordée dans ce court essai du journalist­e bien connu Stéphane Garneau, du bébé qui pleure à la personne qui parle au téléphone en mode mains libres dans l’autobus, en passant par les cols bleus avec leur marteau-piqueur dans la rue ou « l’amateur de rythmes endiablés, et son caisson de basses profondes qu’on entend arriver de loin et dont les vibrations se font sentir pendant de longues secondes jusqu’à ce que le tambourine­ment ne soit qu’un écho lointain ». Bref, de tous ces bruits qui ont « des effets délétères sur notre santé physique et mentale ».

Avant tout, distinguon­s la pollution sonore du son. C’est par le silence, dit-il, qu’on peut le mieux apprécier les sons, ceux du vent qui siffle pendant la tempête ou lorsqu’il agite les feuilles de l’arbre, celui des vagues de la mer, ou du simple chant des oiseaux. Rien à voir avec tout ce qui grouille et scribouill­e sur les réseaux sociaux dès que nous allumons nos téléphones, tablettes, ordinateur­s ou téléviseur­s.

Dans ce tintamarre, on se croit obligé d’émettre une opinion, on se sent interpellé pour savoir qui a raison et qui a tort, on s’agite en répondant à tout un chacun à coups de like ou de commentair­es. On a oublié les bienfaits du silence, à tel point que celui-ci fait peur.

Mais pourquoi toute cette agitation ? demande Garneau. Serait-ce parce qu’on se sent seul ? Pourtant, « la vie de nos contacts n’est pas plus excitante que la nôtre. Elle est d’une égale banalité », plaide-t-il. Qui a besoin, dans cette joute, de réconfort ? Celui qui dénonce et compte le nombre de like ou la victime de l’injustice qu’il dénonce ? C’est ici que le silence peut s’avérer précieux et utile, conclut l’auteur.

LA FAMEUSE MINUTE DE SILENCE

Savez-vous que cette pratique de la minute de silence pour honorer une personne disparue ou un drame collectif remonte au 13 février 1912, au Portugal ? En fait, il s’agissait non pas d’une, mais de dix minutes de silence pour rendre hommage au ministre brésilien des Affaires étrangères, décédé trois jours plus tôt.

Pendant la pandémie, cette minute de silence a duré environ deux ans, avec la réduction des activités de tout genre, dont le transport terrestre, aérien et maritime. On retrouvait, grâce au « silence pandémique », des sons qu’on avait oubliés, tandis que les différente­s espèces animales reprenaien­t possession de leur territoire. Pour les artistes et les créateurs, ce fut un moment béni. En effet, « les exemples d’artistes célèbres qui ont choisi la discipline du silence comme terreau de créativité sont nombreux ». Rien de mieux qu’une bonne marche en solitaire pour favoriser la réflexion et l’écriture.

Mais le silence a un prix. La ville de Zurich est la moins bruyante des villes, mais c’est aussi un des endroits où le coût de la vie est le plus élevé. Il y aurait donc une division de classes, une ségrégatio­n par le son : le bruit pour les pauvres et le silence pour les riches !

Bien sûr, on ne peut échapper à certains bruits si on vit en communauté. Les sirènes des pompiers ou des ambulances, le camion des éboueurs, les enfants jouant dans la cour d’école, les avions au-dessus de nos têtes, les motocyclet­tes et moteurs diesel, autant de signes de civilisati­on auxquels on s’habitue. Mais à partir de 70 décibels, « les bruits environnan­ts peuvent causer de l’irritabili­té ».

Que dire maintenant du « piège à clics », dont dépendent les médias électroniq­ues pour augmenter leurs revenus publicitai­res ? L’indignatio­n et le déchiremen­t de chemise se vendent très bien.

« Du bruit, rien que du bruit », conclut Garneau. Tout comme « l’activisme paresseux », qui consiste à cliquer sur « J’aime » pour soutenir une cause. « Le risque est minime, le coût inexistant et l’impact, relatif. »

C’est pour cette raison que l’auteur choisit de se taire.

« On a oublié comment bien vivre avec le silence. […] Je ne participe jamais à la discussion. Confronté à cette impression de ne pouvoir quitter l’échange avant d’avoir remporté un argument, je choisis de me taire. On ne peut rien dire dans le bruit. Il faudrait hurler. »

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PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS XYZ LE CHOIX DE SE TAIRE – POUR CONTRER LE BRUIT INCESSANT DE LA MACHINE À OPINIONS Stéphane Garneau Éditions XYZ
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