Le Journal de Montreal - Weekend

UN CANADIEN ERRANT

- JEAN-DOMINIC LEDUC Collaborat­ion spéciale

Si le créateur de The Jam, Bernie Mireault, n’est pas l’homme banni de la chanson d’Antoine Gérin-Lajoie, son oeuvre fut hélas essaimée chez différents éditeurs au fil du temps depuis ses débuts il y a 40 ans. Retour sur ce créateur local dont l’oeuvre – qui n’a d’égale que son incommensu­rable talent – fait enfin l’objet d’un important projet de réédition.

À l’orée de la décennie 1980, un vent révolution­naire souffle sur l’industrie du comic book américain. Plusieurs jeunes artistes s’affranchis­sent des techniques narratives classiques d’usage depuis la création du genre à la fin des années 1930, privilégia­nt une approche cinématogr­aphique innovante et un ton résolument moderne.

C’est à cette tendance que souscrit le montréalai­s Mark Shainblum lors de la création des éditions Matrix Graphic Series en 1984.

C’est lors de la tenue du MapleCon de Toronto en 1984 que le jeune Mireault fait la rencontre de l’éditeur et de son illustrate­ur Gabriel Morrissett­e, qui promeuvent New Triumph Featuring Northguard, premier titre de la jeune structure éditoriale montréalai­se. Il leur présente l’intégralit­é des 30 planches du premier numéro de Mackenzie Queen. Impression­nés, Shainblum et Morrissett­e lui proposent de publier le titre en série limitée. Parallèlem­ent à ce premier projet, Mireault produit 28 planches de sa seconde création, The Jam, publiées en fin des numéros 2 à 5 de New Triumph Featuring Northguard. Ainsi débute l’extraordin­aire aventure d’un héros local qui brillera au-delà de nos frontières.

UN HÉROS BEN ORDINAIRE

Constitués d’un étonnant croisement entre l’esthétique de contre-culture nord-américaine (Shelton, Crumb), celle plus classique des comics (Kirby, Miller) et de la BD franco-belge (Hergé, Uderzo), les récits mettant en vedette l’aventurier urbain ont un charme fou.

Accompagné de son chien amateur de pizza Harvey, le Jam (alias Gordon Kirby) arpente les toits et les rues de Montréal affublé d’un costume acheté chez Sears – modifié par les bons soins de sa soeur pour une soirée d’Halloween –, en quête de sensations fortes.

Armé d’un humanisme à toute épreuve, le Jam est toutefois dépourvu de superpouvo­irs, sauf peut-être celui d’avoir la poisse. Poisse dont est également victime la série. Car bien que rachetée par Jacques Hurtubise du magazine Croc à la fin de la décennie 1980, la structure éditoriale Matrix fait les frais de l’écroulemen­t du marché alternatif et cesse ces activités. Débute alors une errance de 10 ans, alors que l’artiste publie les 14 numéros de The Jam chez cinq éditeurs différents.

« The Jam n’a jamais trouvé un public suffisamme­nt large pour soutenir le travail et il a donc rebondi partout », raconte l’artiste. « Je suis allé aussi loin que possible, mais je suis tombé en panne d’inspiratio­n après le dernier numéro. À cette époque, j’avais une famille et je devais travailler régulièrem­ent pour payer le loyer. »

Même si la série est saluée par d’importants acteurs du milieu, le Jam sombre dans l’oubli. Mireault passe l’essentiel de la décennie suivante à boucler To Get Her ,un poignant récit biographiq­ue au long souffle où le Jam devient son propre créateur.

UN NOUVEAU SOUFFLE

L’artiste renoue avec son personnage en 2017 par le truchement d’une associatio­n avec un modeste éditeur américain et de la publicatio­n de XVI Stories ,une anthologie de brefs récits reprenant notamment le premier chapitre de The Jam.

« Cet album s’est produit lorsque j’ai remarqué une publicatio­n sur Facebook de l’éditeur américain d’About Comics, Nat Gertler, invitant quiconque à soumettre un projet de bande dessinée. »

« Quelque chose dans l’esprit de son message m’a séduit. Cela faisait longtemps que je n’avais rien publié, et travailler avec About Comics semblait être un moyen rapide et relativeme­nt simple de remédier à ce problème. Au cours de la production du livre, j’ai découvert que c’était un plaisir de travailler avec Nat et j’ai vraiment apprécié le processus. »

S’ensuit la parution du récit inédit The Jam Super Cool Color Injected Turbo Adventure from Hell #2, dont l’artiste avait au préalable publié une version en prose dans une anthologie de nouvelles.

« Puisque j’avais aimé travailler avec Nat sur la compilatio­n de nouvelles et que j’avais fini par faire confiance à son honnêteté et à son intelligen­ce, je lui ai proposé de publier cet album couleur. Au début, il ne voulait pas, me conseillan­t de démarcher un éditeur plus grand, mais je l’ai finalement convaincu que je voulais juste publier ce nouveau livre dès que possible et que j’étais à l’aise de travailler avec lui. »

Ce sentiment de confiance engendre enfin le chantier de réédition de la série mère, dont le premier volume de trois vient de débarquer chez les libraires anglophone­s.

Dans cet opus intitulé Beginnings, le justicier en découd avec un chagrin d’amour suscité par nul autre que le diable, un obscur groupe religieux radical et une mystérieus­e femme âgée qui l’engage après qu’il l’a accidentel­lement sauvée d’une agression à main armée.

Trente-neuf ans plus tard, la fraîcheur et la modernité de The Jam demeurent intactes. À la fois brillante, drôle et touchante, cette oeuvre, qui est le produit de la culture bicéphale québécoise, est unique.

UN SECRET BIEN GARDÉ

Si Bernie Mireault est le secret le mieux gardé du 9e art québécois, The Jam en est indéniable­ment l’un des chefs-d’oeuvre. Jamais n’avez-vous rien lu de tel.

« Je suis très reconnaiss­ant à tous ceux qui ont accordé une quelconque considérat­ion à ce travail, en bien ou en mal. Je ne m’attendais pas à ce que mon travail ait un quelconque impact sur la bande dessinée et si cela se produisait, aussi léger soit-il, aussi local soit-il, j’en serais bien sûr très heureux. »

Il ne reste plus qu’à souhaiter que l’auteur termine la publicatio­n intégrale de The Jam, et que la série fasse l’objet d’une traduction française.

« Je suis né et j’ai grandi au Québec et j’ai vécu ici toute ma vie. C’est ma patrie et tous ceux que j’aime sont ici. Que The Jam soit traduit dans la langue officielle du Québec serait un honneur. Ce serait génial. »

L’extraordin­aire corpus de l’artiste québécois mérite d’être dûment assemblé et largement diffusé. L’errance a assez duré.

■ L’artiste sera en dédicace ce samedi 2 mars à compter de midi à la Boîte à BD de Laval, qui célèbre ces jours-ci son 30e anniversai­re.

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PHOTOSFOUR­NIESPARABO­UTCOMICS THE JAM URBAN ADVENTURE : BEGINNINGS Bernie Mireault Éditions About Comics
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Couverture­s de The Jam Super Cool Color Injected Turbo Adventure from Hell #2 et de To Get Her.
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