Le Journal de Montreal - Weekend
LA PETITE HISTOIRE DERRIÈRE LE SHELL MOTEL À HOLLYWOOD
Originaires de Victoriaville, les frères Pierre et Guy Picher sont probablement les hôteliers les mieux connus des snowbirds québécois en Floride. Depuis plus de 40 ans, ils sont les fiers propriétaires du célèbre Shell Motel, qu’ils ont acquis de leur père en 1985.
À une certaine époque, ils n’étaient pas les seuls Québécois à gérer des hôtels en Floride.
Dans ces années-là, dans la seule région d’Hollywood, une cinquantaine de petits hôtels était tenue par des compatriotes expatriés. Mais, au fil du temps et pour de multiples raisons, plusieurs d’entre eux ont dû se départir de leur petite entreprise, à bon profit ou à rabais substantiel, selon les cas. Autrement dit, le rêve américain de certains s’est parfois avéré un véritable cauchemar pour d’autres. Mais l’histoire de Pierre et Guy Picher en est une de réussite. Ils font partie de la minorité de Québécois qui ont réussi contre vents et marées à sauvegarder avec bonheur l’entreprise familiale. Aujourd’hui encore, le Shell Motel continue d’accueillir une clientèle de fidèles Québécois. Voici donc ce qui se cache derrière le succès des frères Picher qui, après avoir longtemps trimé dur, sont maintenant devenus de prospères investisseurs immobiliers.
Comment l’histoire du Shell Motel a-telle commencé ?
Guy Picher : En 1972, à l’occasion d’un voyage familial à Disney et puis à Dania Beach, mon père Roger a littéralement eu un coup de foudre pour la Floride. À l’époque, il était gérant de district chez Petro-Canada pour le Québec (anciennement appelé FINA). En 1977, après avoir fait plusieurs voyages en Floride avec la famille, il a décidé d’acheter le Shell Motel en se disant qu’il allait investir pour ses vieux jours et que le métier d’hôtelier serait un bon moyen de le tenir occupé une fois à la retraite.
Et c’est ainsi que les fils sont devenus gestionnaires de l’hôtel paternel ?
GP : Lorsque mon père a acquis l’hôtel, il n’était pas encore à la retraite. Il a donc demandé à mon frère Pierre de s’en occuper. Ainsi, à l’âge de 20 ans, Pierre, qui ne parlait pas un mot d’anglais, est déménagé en Floride pour s’improviser hôtelier. Je suis venu le rejoindre quelques années plus tard, à l’âge de 23 ans. Puis, quand notre père a compris que le métier d’hôtelier représentait beaucoup trop de travail pour un homme à sa retraite, il nous a proposé de lui racheter l’hôtel. Pierre et moi en sommes donc devenus les propriétaires, en nous disant que si cette vie n’était pas faite pour nous, on pourrait toujours revendre.
Qu’est-ce qui vous a motivés à quitter le Québec pour vous installer aux ÉtatsUnis ?
GP: Comme beaucoup de Québécois, nous avions le rêve de nous installer aux ÉtatsUnis et, plus particulièrement, en Floride
à cause de la belle température. Nous rêvions aussi, bien évidemment, de faire prospérer l’entreprise familiale.
Pour prospérer, le Shell Motel a bien prospéré ! Au point de devenir une institution, ou presque, auprès des Québécois en Floride.
GP: En effet. Nous avons des clients qui fréquentent l’hôtel depuis plus de 40 ans. Ils arrêtent d’y séjourner quand ils deviennent malades et qu’ils ne peuvent plus voyager. On a vraiment une clientèle de longue date. Aujourd’hui, leurs enfants et même leurs petits-enfants séjournent au Shell. Je me plais à dire qu’il y a beaucoup de petits Québécois qui ont appris à nager dans notre piscine et plusieurs d’entre eux ont peut-être même été conçus au Shell Motel !
Qu’est-ce qui explique que les Québécois continuent d’être fidèles au Shell Motel après autant d’années ?
GP : L’une de nos grandes qualités, c’est l’hygiène impeccable des lieux. En comparaison aux hôtels environnants, comme le Hilton juste à côté, nous avons vraiment de meilleurs commentaires en ce qui a trait à la propreté. De plus, on offre un excellent service. Nous sommes toujours sur les lieux, mon frère et moi, et on sait vraiment comment s’occuper de notre monde.
Vous êtes tous les deux dans la soixantaine, vous travaillez 7 jours sur 7 pour vous assurer que les séjours de vos clients soient toujours agréables et plus encore… Quelles sont vos sources de motivation ?
Pierre Picher :
Nous faisons ce métier depuis longtemps. Nous sommes habitués à ce rythme de vie. Nous aimons beaucoup notre monde, aussi. La plupart de nos clients sont devenus des amis et il nous fait plaisir de les retrouver année après année. C’est peut-être un peu cliché, mais nous formons réellement une très grande famille au Shell Motel.
Et comment envisagez-vous l’avenir ?
GP: En vieillissant, le métier devient de plus en plus dur. Être hôtelier est extrêmement exigeant. On est toujours là… mais pour combien de temps encore, ça, on ne le sait pas. Des développeurs nous tournent autour depuis longtemps et je me dois d’avouer que nous recevons des offres intéressantes. Mais nous ne sommes vraiment pas pressés de vendre. Mais, le Shell Motel sera vendu, un jour. Pour la simple raison qu’on ne pourra pas tenir ce rythme de vie jusqu’à 80 ans.
PP: Bien sûr que le montant qui nous sera proposé fera un jour pencher la balance. Mais pour l’instant, nous continuons à faire notre métier avec le plus grand des bonheurs.
Dernière question : combien avait coûté le Shell Motel à l’époque ?
PP: Mon père avait payé environ 135 000 $ pour le Shell Motel qui comprend une quinzaine de chambres.
Aujourd’hui, cette même bâtisse doit valoir entre 3,5 et 4 millions de dollars. Nous avons également investi dans plusieurs édifices dans le secteur au fil des ans.
Que dites-vous aux Québécois qui rêvent d’ouvrir un hôtel en Floride ?
PP: Préparez-vous à travailler fort. Avec tous les coûts de propriétés et autres frais qui s’y rattachent, il va vous falloir bûcher très fort pour arriver à faire un profit.
GP: Je vois difficilement comment il est possible de pouvoir tirer son épingle du jeu si on n’est pas un développeur immobilier de nos jours. La majorité des acheteurs sont des développeurs qui veulent bâtir des tours à condos. Tout est devenu bien trop cher en Floride pour un particulier. Aujourd’hui, de plus en plus de Québécois vendent leur appartement parce qu’ils n’arrivent pas à payer leurs frais de condo et d’assurances. C’est complètement fou !