Le Journal de Montreal - Weekend
« TROP » SENSIBLE
On dit parfois d’une personne qu’elle est « trop » sensible : le commentaire sonne rarement comme un compliment ! Cette fameuse sensibilité affective et émotionnelle, est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?
Psychologue et présidente de l’Ordre des psychologues du Québec
Avant toute chose, précisons que la sensibilité sur les plans affectifs et émotionnels dont il sera question dans cette chronique renvoie à la faculté de ressentir des impressions ou des émotions profondément (il ne sera donc pas question ici de sensibilité sur le plan physique, sensoriel ou encore immunitaire).
Les gens plus sensibles sont souvent plus près de leurs émotions, mais cela ne signifie pas pour autant que leur vie émotionnelle les ronge nuit et jour, ni encore qu’ils sont « faibles ».
Pouvant être dotés d’une empathie plus élevée et bénéficier d’une intelligence émotionnelle plus aiguisée, ils peuvent mieux décoder les signaux non verbaux. Ayant développé une lecture au-delà du discours explicite, cela permet souvent de mieux comprendre certaines situations plus délicates… Et cela n’a rien de négatif.
Cette sensibilité peut se vivre et s’exprimer de diverses façons. Les personnes plus sensibles peuvent avoir une larme à l’oeil au cinéma, ou lors d’événements significatifs comme une graduation ou encore une naissance, par exemple. Comme des éponges, elles peuvent s’imprégner de chaque moment beaucoup plus intensément et ressentir fortement leurs vagues intérieures, ou encore celles de leur entourage. Par la suite, plusieurs d’entre elles auront souvent besoin de tranquillité, de repos, de solitude, pour revenir à l’équilibre.
UN MANQUE DE CONTRÔLE ?
Une personne peut être plus sensible, et par conséquent plus émotive, tout en exerçant sur elle-même un certain contrôle. Réguler ses émotions et faire preuve d’une plus grande sensibilité sont en effet deux choses bien différentes. La régulation de nos émotions, comme beaucoup de choses dans la vie, se développe avec l’âge et la maturation du cerveau. Les enfants et les adolescents apprennent peu à peu ces capacités complexes durant leur développement.
Plutôt que nous inquiéter de gens plus sensibles, nous devrions davantage nous interroger face aux gens qui se coupent de leurs émotions… et qui peuvent finir par en payer le prix.
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », et cela est aussi généralement assez vrai en la matière.
Les émotions qui n’ont pas pu être vécues peuvent en outre se manifester sur le plan physique, soit par la somatisation, que ce soit par l’entremise de troubles digestifs, de maux de dos, de migraines, etc. De plus, se couper de ses émotions peut éventuellement faire en sorte que les émotions s’accumulent et deviennent plus difficiles à contrôler, comme un réservoir qui finirait par déborder. Les troubles du sommeil peuvent constituer d’autres de ces exemples, tout comme la colère réprimée pouvant mener à la dépression.
La sensibilité et ses manifestations affectives peuvent s’avérer être une grande force pouvant être mise à profit. Tout d’abord, elle favorise l’établissement de relations encore plus authentiques et profondes.
Lorsqu’elle est couplée à une capacité accrue d’empathie, la sensibilité peut faciliter la communication, favoriser une résolution plus constructive des conflits et enrichir davantage les relations interpersonnelles.
La sensibilité peut aussi contribuer à une exploration plus vaste de soi et du monde qui nous entoure. Pouvant être un moteur d’introspection et de créativité, elle permet de percevoir les nuances, de réfléchir, d’allumer et d’alimenter notre « lanterne intérieure », en plus d’explorer une foule de nouvelles avenues.
À CHACUN SA SENSIBILITÉ
Par ailleurs, comme toutes les autres facultés dont nous sommes dotés, il existe d’énormes différences d’un individu à un autre, ce qui fait notre unicité. Certains sont-ils beaucoup trop sensibles ? Ne devraient-ils pas faire preuve de retenue, et ce, pour le bien de tous ? Peut-être que le niveau de sensibilité de chacun dépend surtout de la manière dont les autres la perçoivent. Les lunettes que nous portons pour poser ce jugement sont les nôtres… et ne sont pas toujours très objectives. Certains diront sans gêne : « Moi, à ta place, je n’aurais pas réagi comme ça. » Effectivement, ces gens-là ne sont pas à votre place… et ne le seront jamais !
En raison de ce que nous sommes, de nos origines, de notre histoire et de tout le bagage que nous accumulons au cours de notre vie, chacun a sa propre trame narrative et sa façon d’interpréter les événements : ce qui touche l’un n’émeut pas nécessairement l’autre. Il faut donc comprendre que nous avons tous des émotions, qu’elles ont toute leur importance – la peine comme la joie, la peur comme la colère –, et qu’elles ne surviennent pas exactement de la même façon chez chacun, ni par l’entremise des mêmes déclencheurs.
SENSIBLES, ENSEMBLE
Ceux et celles qui doutent encore des nombreux bienfaits de la sensibilité devraient peut-être se questionner sur la méfiance qu’ils cultivent envers elle. Plutôt que de la juger, tâchons de nous montrer plus à l’écoute et davantage ouverts face à notre propre sensibilité, comme à celle des autres : c’est tout le monde qui pourra y gagner.
Sensibilité bien ordonnée commence par soi-même !