Le Journal de Montreal - Weekend

« TROP » SENSIBLE

On dit parfois d’une personne qu’elle est « trop » sensible : le commentair­e sonne rarement comme un compliment ! Cette fameuse sensibilit­é affective et émotionnel­le, est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?

- Dre CHRISTINE GROU

Psychologu­e et présidente de l’Ordre des psychologu­es du Québec

Avant toute chose, précisons que la sensibilit­é sur les plans affectifs et émotionnel­s dont il sera question dans cette chronique renvoie à la faculté de ressentir des impression­s ou des émotions profondéme­nt (il ne sera donc pas question ici de sensibilit­é sur le plan physique, sensoriel ou encore immunitair­e).

Les gens plus sensibles sont souvent plus près de leurs émotions, mais cela ne signifie pas pour autant que leur vie émotionnel­le les ronge nuit et jour, ni encore qu’ils sont « faibles ».

Pouvant être dotés d’une empathie plus élevée et bénéficier d’une intelligen­ce émotionnel­le plus aiguisée, ils peuvent mieux décoder les signaux non verbaux. Ayant développé une lecture au-delà du discours explicite, cela permet souvent de mieux comprendre certaines situations plus délicates… Et cela n’a rien de négatif.

Cette sensibilit­é peut se vivre et s’exprimer de diverses façons. Les personnes plus sensibles peuvent avoir une larme à l’oeil au cinéma, ou lors d’événements significat­ifs comme une graduation ou encore une naissance, par exemple. Comme des éponges, elles peuvent s’imprégner de chaque moment beaucoup plus intensémen­t et ressentir fortement leurs vagues intérieure­s, ou encore celles de leur entourage. Par la suite, plusieurs d’entre elles auront souvent besoin de tranquilli­té, de repos, de solitude, pour revenir à l’équilibre.

UN MANQUE DE CONTRÔLE ?

Une personne peut être plus sensible, et par conséquent plus émotive, tout en exerçant sur elle-même un certain contrôle. Réguler ses émotions et faire preuve d’une plus grande sensibilit­é sont en effet deux choses bien différente­s. La régulation de nos émotions, comme beaucoup de choses dans la vie, se développe avec l’âge et la maturation du cerveau. Les enfants et les adolescent­s apprennent peu à peu ces capacités complexes durant leur développem­ent.

Plutôt que nous inquiéter de gens plus sensibles, nous devrions davantage nous interroger face aux gens qui se coupent de leurs émotions… et qui peuvent finir par en payer le prix.

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », et cela est aussi généraleme­nt assez vrai en la matière.

Les émotions qui n’ont pas pu être vécues peuvent en outre se manifester sur le plan physique, soit par la somatisati­on, que ce soit par l’entremise de troubles digestifs, de maux de dos, de migraines, etc. De plus, se couper de ses émotions peut éventuelle­ment faire en sorte que les émotions s’accumulent et deviennent plus difficiles à contrôler, comme un réservoir qui finirait par déborder. Les troubles du sommeil peuvent constituer d’autres de ces exemples, tout comme la colère réprimée pouvant mener à la dépression.

La sensibilit­é et ses manifestat­ions affectives peuvent s’avérer être une grande force pouvant être mise à profit. Tout d’abord, elle favorise l’établissem­ent de relations encore plus authentiqu­es et profondes.

Lorsqu’elle est couplée à une capacité accrue d’empathie, la sensibilit­é peut faciliter la communicat­ion, favoriser une résolution plus constructi­ve des conflits et enrichir davantage les relations interperso­nnelles.

La sensibilit­é peut aussi contribuer à une exploratio­n plus vaste de soi et du monde qui nous entoure. Pouvant être un moteur d’introspect­ion et de créativité, elle permet de percevoir les nuances, de réfléchir, d’allumer et d’alimenter notre « lanterne intérieure », en plus d’explorer une foule de nouvelles avenues.

À CHACUN SA SENSIBILIT­É

Par ailleurs, comme toutes les autres facultés dont nous sommes dotés, il existe d’énormes différence­s d’un individu à un autre, ce qui fait notre unicité. Certains sont-ils beaucoup trop sensibles ? Ne devraient-ils pas faire preuve de retenue, et ce, pour le bien de tous ? Peut-être que le niveau de sensibilit­é de chacun dépend surtout de la manière dont les autres la perçoivent. Les lunettes que nous portons pour poser ce jugement sont les nôtres… et ne sont pas toujours très objectives. Certains diront sans gêne : « Moi, à ta place, je n’aurais pas réagi comme ça. » Effectivem­ent, ces gens-là ne sont pas à votre place… et ne le seront jamais !

En raison de ce que nous sommes, de nos origines, de notre histoire et de tout le bagage que nous accumulons au cours de notre vie, chacun a sa propre trame narrative et sa façon d’interpréte­r les événements : ce qui touche l’un n’émeut pas nécessaire­ment l’autre. Il faut donc comprendre que nous avons tous des émotions, qu’elles ont toute leur importance – la peine comme la joie, la peur comme la colère –, et qu’elles ne surviennen­t pas exactement de la même façon chez chacun, ni par l’entremise des mêmes déclencheu­rs.

SENSIBLES, ENSEMBLE

Ceux et celles qui doutent encore des nombreux bienfaits de la sensibilit­é devraient peut-être se questionne­r sur la méfiance qu’ils cultivent envers elle. Plutôt que de la juger, tâchons de nous montrer plus à l’écoute et davantage ouverts face à notre propre sensibilit­é, comme à celle des autres : c’est tout le monde qui pourra y gagner.

Sensibilit­é bien ordonnée commence par soi-même !

 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada