Le Journal de Montreal - Weekend

QUAND LES FRANCO-CATHOLIQUE­S ÉTAIENT DE TROP

Dans un ouvrage très accessible qui vient de paraître chez Septentrio­n, l’historien Hugues Théorêt retrace les principaux faits d’armes de « La Patente », une organisati­on secrète.

- MARTIN LAVALLÉE Collaborat­ion spéciale

Intitulé La Patente, l’ouvrage, sans « révolution­ner l’historiogr­aphie », apporte néanmoins un éclairage nouveau sur cette société, qui a aussi fait l’objet d’un documentai­re en 2022 par le réalisateu­r Phil Comeau.

Pendant longtemps, les Canadiens français ont cru à l’idée que le Canada, en 1867, était né d’un pacte entre deux peuples fondateurs et que les francophon­es pourraient s’y épanouir librement.

Ils ont très vite déchanté et ont dû trouver divers moyens pour défendre et faire valoir leurs droits. Le sort des Métis de l’Ouest et la pendaison de Louis Riel ne forment qu’un épisode d’une longue suite qui montre aux Canadiens français, après 1867, qu’ils ne sont pas les maîtres au Canada et qu’ils sont subordonné­s à la population anglo-saxonne. Les Orangistes, une société anglo-protestant­e, seront bien souvent à l’origine des attaques dirigées contre les descendant­s de la Nouvelle-France.

FRANCO-CATHOLIQUE­S ATTAQUÉS

Dès les débuts de la Confédérat­ion, plusieurs lois discrimina­toires bafouent les droits des Canadiens français et visent leur assimilati­on. Au départ, particuliè­rement au Nouveau-Brunswick et au Manitoba, c’est l’enseigneme­nt confession­nel catholique des Canadiens français qui est attaqué. Toutefois, comme l’ont montré Marcel Martel et Martin Pâquet dans Langue et politique au Canada et au Québec, c’est la langue qui deviendra progressiv­ement l’enjeu principal au début du 20e siècle.

Le cas le plus emblématiq­ue survient en 1912, avec l’adoption du Règlement 17, en Ontario. Ce règlement limite considérab­lement l’enseigneme­nt en français dans les écoles de la province, ce qui indigne l’ensemble des communauté­s francophon­es au

Canada, qui sont encore nombreuses, liées et solidaires entre elles et pleines de vitalité à l’époque. Elles formaient alors ce que l’on appelait le Canada français.

Pour une frange de la population anglo-saxonne canadienne, le Canada est britanniqu­e et anglophone et doit le rester. Ainsi, les Canadiens français, dont le taux de natalité est alors l’un des plus élevés en Occident, représente­nt une menace et on cherche à les assimiler.

LES CANADIENS FRANÇAIS S’ORGANISENT

Pendant un certain temps, la Société Saint-Jean-Baptiste-de-Montréal, sous les présidence­s d’Olivar Asselin (1913-1914) et de Victor Morin (1915-1924), tentera de se porter à la défense des minorités attaquées et d’assumer le rôle de chef de file de la nation canadienne-française. Elle n’a toutefois pas les moyens de ses ambitions et d’autres procédés ont dû être envisagés, comme fonder une société secrète afin d’infiltrer les différents leviers de pouvoir et oeuvrer dans le secret pour promouvoir et faire avancer les droits des Canadiens français au Canada. Fondé à Ottawa en 1926, l’Ordre de Jacques-Cartier, communémen­t appelé « La Patente », a joué ce rôle jusqu’en 1965.

L’Ordre, qui au cours de son existence a réalisé certains gains pour la cause des Canadiens français et des Acadiens, a été dissous en 1965, notamment à cause de dissension­s entre ses membres. Certains voulaient continuer de lutter pour le français au Canada là où d’autres ont conclu que le français ne serait vraiment respecté qu’au sein d’un Québec indépendan­t, où les francophon­es sont majoritair­es et seraient maîtres chez eux.

Ce que nous rappelle l’histoire de « La Patente », c’est que, n’eût été une minorité anglo-canadienne, le français, à une certaine époque, aurait pu avoir un avenir radieux au Canada. Cet avenir n’adviendra jamais et le Québec représente aujourd’hui le dernier bastion où la langue française est encore dominante au Canada… mais pour combien de temps encore ?

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