Le Journal de Montreal - Weekend
DES PHOTOS DE LA PREMIÈRE GUERRE ÉTAIENT FAUSSES
Une série du photographe Ivor Castle illustrant la bataille de Courcelette est une mise en scène, révèle une historienne de la Colombie-Britannique.
« Quand la guerre éclate en 1914, les autorités militaires canadiennes et britanniques comprennent le potentiel de la photographie sur le front de l’Ouest ; la caméra ne peut pas mentir », écrit l’historienne et photographe Clara-Jean Stokes dans une édition récente de Canada’s History.
Pourtant, quatre photographies célèbres de la bataille de la Somme, en France, se sont révélées de pures mises en scène. En réalité, les braves soldats qui se lancent à l’assaut de l’ennemi sous les bombardements sont dans des décors conçus pour l’occasion à 55 km des affrontements… et un mois après la fameuse bataille de Courcelette.
Engagé par l’armée canadienne, le photographe britannique Ivor Castle, 39 ans, a créé de toutes pièces un décor pour ses photos devenues des pièces maîtresses de l’effort de guerre.
TUÉS D’UN COUP !
La série a été reprise dans de nombreux journaux de l’époque et a fait l’objet de surenchères verbales. « C’est la première vague de l’attaque qui est montrée, dans laquelle presque tous les hommes ont été tués d’un coup ; et plusieurs mères ont pu voir à quoi ressemblaient leurs fils juste avant qu’ils ne soient tués », écrit par exemple le New York Evening Post en 1918.
Personne n’a été tué durant l’exercice soigneusement mis en scène. Même l’étui de protection du fusil militaire porté par un des figurants apparaît clairement sur un cliché.
« La manipulation d’images est très courante en temps de guerre et l’armée canadienne ne s’en est pas privée durant la Première Guerre mondiale », explique l’historien militaire Michel Litalien, qui n’a pas été surpris par les révélations de Canada’s History.
FAUXTOGRAPHES…
Il précise que les photos prises sur le vif durant ce conflit sanglant et qui sont parvenues jusqu’à nous sont excessivement rares, car les soldats avaient reçu l’ordre de ne pas apporter d’appareil photo sur le front. Même les photographes officiels étaient interdits, car on craignait que les images ne servent à l’ennemi. De plus, les risques de mourir en fonction étaient très élevés.
Pas moins de 20 000 Canadiens ont péri dans la région de la Somme, au sud de Lille, durant l’automne 1916, selon l’Encyclopédie canadienne. Pluie, boue et neige avaient rendu les avancées extrêmement difficiles et les photos canadiennes feront le tour du monde comme un rare témoignage des horreurs de la guerre, mais aussi de la bravoure des soldats. Carla-Jean Strokes en fait la description détaillée et relate leur immense succès dans des expositions aux quatre coins du monde. Mais pourquoi engager des « fauxtographes » ? Pour servir la propagande, répond M. Litalien. « On devait montrer aux Canadiens à quel point leur armée était courageuse et déterminée. »
Aujourd’hui plus que jamais, il faut demeurer vigilant face aux images truquées, mentionne l’expert, qui s’est lui-même fait prendre par des images très réalistes provenant d’Ukraine. Elles étaient en réalité des scènes tirées d’un jeu vidéo.