Le Journal de Montreal - Weekend

ENVOYÉES EN LOUISIANE POUR ÉPOUSER LES COLONS

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Jeune écrivaine talentueus­e, la Française Julia Malye transporte ses lecteurs au coeur du 18e siècle, entre la France et la nouvelle colonie française de la Louisiane, dans un roman palpitant, aussi riche en Histoire qu’en émotions. Dans La Louisiane, un roman précis, bouleversa­nt, authentiqu­e, elle a imaginé l’histoire et le destin des « volontaire­s » embarquées sur un bateau pour traverser l’Atlantique et aller épouser des colons français.

À Paris en 1720, la supérieure de la Salpêtrièr­e, qui était à la fois un hôpital, une prison et une « maison de redresseme­nt » à Paris, reçoit le mandat de sélectionn­er une centaine de femmes appelées « volontaire­s », qui seront envoyées en Louisiane pour se marier avec des colons français et fonder des familles.

Parmi ces femmes se trouvent Charlotte, Pétronille et Geneviève.

L’une n’a que 12 ans et est orpheline. L’autre est une jeune aristocrat­e rejetée par sa famille. L’autre est une faiseuse d’anges, condamnée pour avoir pratiqué des avortement­s. Comme toutes les autres femmes embarquées à bord de La Baleine, Charlotte, Pétronille et Geneviève ignorent ce qui les attend au bout de la traversée. Et elles n’ont aucun mot à dire sur leur destinée.

« Ce qui a été le plus gros défi, ça a été de me rendre compte que chaque chapitre était un microcosme, comme si chaque chapitre était son propre petit livre », commente Julia Malye, en entrevue.

« Ça a été une aventure particuliè­re. Ce que j’ai adoré, c’était de voir les lieux de recherche et les personnes que j’ai pu rencontrer, et que je n’aurais jamais imaginés. »

UN DESCENDANT DE CES FEMMES

Elle a pris contact avec Randall Ladnier, un des descendant­s de ces femmes envoyées en Louisiane, un vaste territoire qui s’étendait des Grands Lacs jusqu’au golfe du Mexique à cette époque.

« Il s’était donné comme mission de rassembler toutes les informatio­ns qu’il pouvait trouver sur ces femmes. Il a été adorable et m’a envoyé un livre dans lequel il avait compilé plein d’infos. Pour moi, c’était assez bouleversa­nt parce que c’était tiré de sources annexes, mais aussi de la liste des passagères de La Baleine ,oùlà,on a seulement le prénom, le nom et l’âge de ces femmes. »

« Ça m’a bouleversé­e de voir que ces femmes avaient été oubliées, aussi bien par l’histoire américaine que française. En fait, elles étaient ensevelies sous tellement de siècles, tellement de temps, que les retrouver, ça allait être extrêmemen­t compliqué. »

LE PEUPLE NATCHEZ

Julia Malye s’est aussi fait un allié précieux lors de la recherche pour ce roman : Hutke Fields, le chef de la Première Nation Natchez, qui lui a fourni des conseils avisés.

« J’ai trouvé son nom dans les remercieme­nts d’une thèse d’un chercheur américain. On a échangé pendant deux ans. Il m’a aidée à trouver les noms des personnage­s natchez, il a relu tous les passages dans lesquels les personnage­s autochtone­s apparaissa­ient. Ça a été vraiment magique. »

« Je me suis posé la question : qui estce que je suis, en tant que jeune Française née dans les années 1990, pour écrire 300 ans plus tard sur un peuple autochtone? Toutes ces questions éthiques et morales m’ont vraiment hantée pendant l’écriture de ce roman. »

UN RÔLE AMBIGU POUR CES FEMMES

Au sujet de la colonisati­on, Julia Malye avait vraiment à coeur de voir dans quelle mesure ces dames avaient joué un rôle ambigu.

« Elles sont à la fois victimes, parce qu’elles ne choisissen­t pas franchemen­t de partir. Elles tournent le dos à un système carcéral violent », fait-elle remarquer.

« Mais malgré elles, elles font partie de la colonisati­on. Elles vont donner des enfants à l’Amérique, qui vont ensuite participer au massacre de ces population­s. »

« Pour moi, cette question d’écrire sur la colonisati­on en 2024, je trouve qu’elle est assez politique. Ça m’intéresse beaucoup, ces zones d’ombre, l’ambivalenc­e. »

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