Le Journal de Montreal - Weekend
TOULOUSE SOULIGNE EN GRAND SON HÉRITAGE « CATHARE »
TOULOUSE | (AFP) Une grande exposition vient de s’ouvrir à Toulouse, en France, intitulée « Cathares », Toulouse dans la croisade. Elle porte sur les cathares, des dissidents religieux de l’Église catholique romaine dans la période médiévale. Mais les guillemets choisis par les organisateurs pour le mot « Cathares » sont importants, car le terme lui-même et ce qu’il recouvre divisent profondément les historiens aujourd’hui.
Avec pour sous-titre Toulouse dans
la croisade, cette exposition phare de l’année culturelle dans la ville rose proposera plus de 300 objets (archives, pièces archéologiques, reconstitutions, etc.) retraçant la croisade lancée dans le Midi de la France au début du 13e siècle par le pape Innocent III, tout en faisant le point sur les débats historiques autour de « l’hérésie cathare ».
« Nous sommes soucieux de valoriser l’identité de la ville, celle de la région et clairement les cathares participent de cette identité », a affirmé le maire adjoint chargé des musées, Pierre EsplugasLabatut.
Pour la commissaire de l’exposition, Laure Barthet, la période est en tout cas « fascinante parce qu’elle mêle tous les ingrédients dont se sont d’ailleurs saisis artistes et auteurs, notamment dans la pop culture : c’est l’histoire d’une croisade avec des rebondissements militaires dignes de Game of Thrones, c’est aussi dans sa caricature la lutte d’une communauté persécutée contre un pouvoir aveugle et sourd, celui de l’Inquisition et du roi de France ».
La croisade est au coeur de la première partie du parcours, présenté au Musée Saint-Raymond à Toulouse, une vaste bâtisse du XVIe siècle située à deux pas de la basilique Saint-Sernin, l’un des monuments emblématiques de la ville.
TOULOUSE ASSIÉGÉE TROIS FOIS
Le visiteur se plonge dans cette expédition militaire menée de 1208 à 1229, découvre ses protagonistes grâce à un dispositif numérique ainsi qu’une dizaine de boucliers portant leurs armoiries, ou pénètre dans la vie de la Toulouse médiévale, trois fois assiégée, mais jamais prise entre 1211 et 1219.
Il faut parcourir quelques centaines de mètres dans le centre historique toulousain, non loin du Capitole, pour rejoindre le deuxième chapitre de l’exposition, celui-là présenté au couvent des Jacobins, un édifice construit dans la deuxième moitié du 13e siècle et donc quasi contemporain de l’histoire qu’on y raconte.
Et là, insiste Mme Barthet, « il faut garder l’esprit ouvert ». Car ce deuxième volet expose les avancées de la recherche historique de ces vingt dernières années, venue battre en brèche certaines idées établies.
Déjà, ce terme – « cathares » – n’a en fait jamais été utilisé dans le Midi à l’époque médiévale, et ce « mot-valise » s’est « imposé seulement parce que certains historiens l’ont choisi » au 19e siècle, explique Laure Barthet, dont l’exposition retrace la création du mot.
Quant à l’existence de l’hérésie ellemême, elle est aujourd’hui remise en cause par une majorité d’historiens.
L’HÉRÉSIE COMME « PRÉTEXTE »
« Le mot “hérésie” a été utilisé comme prétexte », a expliqué Alessia Trivellone, enseignante-chercheuse au Centre d’études médiévales de l’université de Montpellier 3, qui pointe la volonté d’un « meilleur contrôle » religieux de ce territoire « par le pape et les cisterciens », puis son désir d’« annexion » par le roi de France.
« Les sources sont trop biaisées pour être considérées comme des preuves certaines de l’existence de communautés hérétiques dans le Midi », juge-t-elle.
D’autres persistent à voir l’existence d’une « véritable dissidence chrétienne médiévale » avec « son propre clergé » dans le Midi de la France, comme Pilar Jimenez, auteure du livre Les catharismes, modèles dissidents du christianisme médiéval, qui regrette « une lecture sélective des sources » par ses collègues.
Mmes Trivellone et Jimenez apparaissent toutes deux au catalogue de l’exposition qui, organisée par un « musée de France, institution neutre et scientifique » entend « poser les termes » d’un débat devenu très sensible, sans le trancher, aux dires de Mme Barthet.
En fin de visite, une lumineuse animation 3D permet de découvrir les châteaux de l’ouest de l’Occitanie que tout le monde appelle « cathares ».
Comme un symbole résumant les raccourcis que prend décidément parfois le récit historique : loin d’être cathares, ces forteresses sont en fait l’oeuvre du roi de France, signes de sa victoire finale et de sa mainmise sur ce territoire jadis désigné comme « hérétique ».