Le Journal de Montreal - Weekend
À NASHVILLE DERRIÈRE LE COUNTRY, LES SOUVENIRS DU BLUES, DU ROCK ET DU JAZZ
NASHVILLE | (AFP) Qui se souvient que Nashville, capitale de la musique country, fut longtemps un haut lieu du blues, du rock et du jazz où l’on croisait Jimi Hendrix et B.B. King ? Dans son petit musée etduhautdeses 81 ans, Lorenzo Washington préserve l’héritage culturel d’un quartier afro-américain effacé de la ville.
À Jefferson Street, principale rue et artère de cette vibrante communauté, « on avait tout ce qu’il fallait, des banques, des épiceries, des boutiques de vêtements, de fleurs, des glaciers », se rappelle l’octogénaire à la silhouette fine et à l’allure élégante, petites lunettes et chapeau sur la tête.
Il se souvient aussi et surtout d’une rue bordée de fêtards qui sortaient de dancings, bars clandestins ou salles de billard, et où l’on pouvait voir se produire des vedettes telles que Jimi Hendrix, Etta James, Ray Charles, BB King…
« Tout le monde s’amusait à Jefferson Street. C’était ça l’ambiance qu’on avait créée », ajoute Lorenzo Washington, dans son musée qui regorge d’objets musicaux, de disques ou de cartes de la ville témoignant de cette vitalité.
« INTERSTATE 40 »
Mais ces scènes vivantes n’ont pas survécu à la construction d’une autoroute urbaine qui a coupé le quartier en deux, un épisode classique dans l’histoire récente de certaines villes américaines.
En 1968, l’« Interstate 40 » éventre le quartier et cause le déplacement de plus d’un millier d’Afro-américains. De nombreux commerces mettent la clé sous la porte, les clubs ferment les uns après les autres ou sont démolis, comme le Club del Morocco où Jimi Hendrix s’était installé.
Jefferson Street, étape du Chitlin’ Circuit,
un réseau destiné aux artistes noirs à l’époque de la ségrégation raciale aux États-Unis, se meurt et les artistes vont voir ailleurs, Memphis ou Chicago.
« Ils sont partis là où ils pouvaient trouver du travail, là où une maison de disques voulait bien les enregistrer », explique Lorenzo Washington.
« La perte de la musique noire a été tragique pour la ville », ajoute-t-il, en affirmant que Nashville a négligé Jefferson Street. Aujourd’hui, la capitale du Tennessee est aussi considérée comme celle du country, un genre de musique que se sont généralement approprié les musiciens blancs et hommes, et dont le dernier album de Beyoncé célèbre les racines afro-américaines.
Lorenzo Washington n’est pas musicien lui-même, même s’il a été propriétaire d’une boutique de disques dans les années 1970 et a fréquenté de nombreux artistes, comme la « Reine du blues » de Nashville, Marion James. Aujourd’hui, il exploite un studio d’enregistrement à son domicile, ainsi qu’une petite salle de spectacle.
Il est revenu s’installer dans le quartier en 2010, inspiré par un ami et élu local, qui soutenait que la seule façon de revitaliser Jefferson Street serait que des Afro-Américains reviennent s’y établir et ouvrir des commerces.
« Et c’est ce que j’ai fait », dit-il. Ses amis l’ont encouragé à ouvrir un musée, pour que « notre héritage perdure ».
Le musée Jefferson Street Sound a été inauguré en 2011.
« Ils m’ont dit que je pourrais être le conservateur. J’ai répondu “conservateur, mais que fait un conservateur” », se souvient-il avec son rire communicatif.
Plus de dix ans plus tard, « je suis toujours là, rue Jefferson, à représenter les artistes et les musiciens », ajoute-t-il.
DUEL AVEC HENDRIX
Lorenzo Washington s’est aussi battu pour que le bâtiment qui abritait le Club Baron, l’un des rares de l’époque encore debout, soit protégé par un statut de monument historique local.
Le club avait été le théâtre d’un célèbre duel de guitaristes en 1963 entre un jeune Jimi Hendrix et le bluesman de Nashville Johnny Jones, un épisode célébré par une fresque sur sa façade.
« C’est un peu triste de voir que tout cela n’existe plus aujourd’hui », dit Lorenzo Washington, en montrant d’anciens lieux sur une carte accrochée dans son musée.
« Mon intention était d’encourager d’autres entreprises à revenir sur Jefferson Street, afin que nous puissions reprendre là où nous nous étions arrêtés », ajoute-t-il.
Dans une ville où « il ne se passe pas grand-chose publiquement pour représenter la communauté noire », « ce petit endroit a attiré l’attention ». « Ce n’est pas énorme, mais ça grandit. »