Le Journal de Montreal - Weekend

ACCRO COMME UNE JOUEUSE !

ROMANS D’ICI L’univers des casinos fascine, car il est l’endroit des extrêmes, où luxe et misère humaine se côtoient. Avec Maquina, on entre dans l’envers du décor.

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Tout part de la grand-mère de Luz, la narratrice de Maquina. Regina a flambé à la roulette tout l’argent que son mari, parti travailler à l’étranger, lui envoyait. C’était si énorme que le couple s’est séparé ; elle a continué de jouer jusqu’à sa mort à 54 ans.

Pour comprendre une obsession aussi absolue, Luz devient préposée aux machines à sous dans un casino. Un travail sur appel, et elle est appelée souvent ! Le jour elle voit les retraités défiler. « Le fait de les voir tout dilapider me donne envie de mourir jeune », écrit-elle.

Elle préfère donc la faune de nuit : les millionnai­res insomniaqu­es, les solitaires, les habitués compulsifs… Dans le lot, il y a madame B. Une personnali­té flamboyant­e et crainte des employés, car elle a la critique mordante.

Luz est fascinée par elle, arrive à s’en approcher, finit même par s’y accrocher. Et on apprécie la manière dont l’autrice Lula Carballo tisse finalement le parallèle entre l’attirance pathologiq­ue pour les jeux de hasard et celle envers quelqu’un qui n’a que faire des autres.

La Luz du récit est quand même suffisamme­nt lucide pour voir les mécaniques à l’oeuvre. Il y a d’abord celle du casino, surnommé « lieu de tous les noms » puisqu’il peut être à la fois empire scintillan­t ou sombre taverne. Pour Luz, c’est surtout un « cirque glauque ».

L’organisati­on de l’espace est en soi d’une redoutable efficacité. « L’architectu­re du casino a été réfléchie afin que les gens puissent y entrer facilement, mais qu’ils peinent à le quitter », note-t-elle.

Son travail lui-même repose sur des gestes précis qui incitent les gens à jouer. Le préposé, dos droit et tête haute, doit rester accessible, répondre aux questions comme si tout était possible, offrir à temps des coupons rabais ou des repas gratuits. Et sans cesse circuler afin de rester à l’affût des besoins des joueurs.

UNE PASSION COMMUNE

Lula Carballo décortique précisémen­t cet univers, ce qui rend son récit accrocheur. Mais en y ajoutant un personnage en moyens, qui mise un million de dollars par année et n’encaisse même pas ses lots, elle donne aussi chair au mystère envoûtant d’un casino. L’organisati­on même de son texte contribue à cet effet.

Luz note que pendant leurs congés, ses collègues s’envolent vers Las Vegas puisqu’il leur est interdit de miser là où ils travaillen­t. Elle n’a pas pareille envie. Mais au fond, elle parie aussi. Sauf que son gros lot s’appelle madame B.

Sa mise, ce sont les textos qu’elle lui envoie, avec en retour des récompense­s qui varient : parfois le silence, parfois quelques mots, parfois un rendez-vous fixé. Avec pour point de rencontre leur passion commune pour Leonard Cohen.

Alors l’obsession devient identifica­tion, puis quête amoureuse. Qui gagne, qui perd à ce jeu ? L’intrigant pari tient jusqu’à la dernière ligne.

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Lula Carballo Éditions Leméac 192 pages 2024
MAQUINA Lula Carballo Éditions Leméac 192 pages 2024
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