Le Journal de Montreal - Weekend

WILFRID LAURIER, séparatist­e, traître ou héros canadien ?

- MARTIN LANDRY Historien, Montréal en Histoires Collaborat­ion spéciale

Wilfrid Laurier croyait sincèremen­t que 20 ans après la naissance du Dominion du Canada, il était grand temps de faire naître un sentiment de fierté nationale au pays. Pour y arriver, il était indispensa­ble que le pays se développe dans le respect des cultures anglo-saxonne et francophon­e.

Wilfrid Laurier est devenu chef du Parti libéral du Canada en 1887 et premier ministre du pays en 1896. Sa victoire sur les conservate­urs est en grande partie attribuabl­e à l’appui massif des Canadiens français.

LE DÉBUT DES COMPROMIS

Pendant la campagne qui mène à son élection comme premier ministre, Wilfrid Laurier avait promis, s’il était élu, qu’il réglerait l’épineuse question de l’enseigneme­nt au Manitoba. Une fois au pouvoir, il ouvre comme promis une négociatio­n avec le premier ministre manitobain Thomas Greenway. Les deux hommes en arrivent à une solution de compromis.

Ils s’entendent pour ne pas rouvrir les écoles francophon­es, mais autorisent les élèves catholique­s à recevoir une éducation en français une demi-heure à la fin des journées de classe. Vous pouvez vous douter que le règlement a entraîné le mécontente­ment général chez les francophon­es. En fait, cette histoire annonce bien ce qui va se dessiner durant les 15 années de pouvoir du gouverneme­nt Laurier.

DEUX VISIONS DU CANADA

Au moment de l’élection de Wilfrid Laurier en 1896, l’Empire britanniqu­e est au sommet de sa gloire. Ses colonies englobent le quart de la population mondiale et s’étendent sur plus de 20 % des territoire­s habitables.

Au tournant du 20e siècle, la croissance commercial­e et militaire de l’Allemagne dérange les dirigeants britanniqu­es.

En réaction, Londres cherche à resserrer ses liens avec ses colonies et ses dominions, comme le Canada et l’Australie.

En 1897, à l’occasion des célébratio­ns du 60e anniversai­re du règne de la reine Victoria, les premiers ministres des territoire­s alliés à la couronne sont invités à Londres pour participer à une conférence impériale.

Au début des célébratio­ns, Laurier obtient le titre de sir Wilfrid Laurier. Ce titre honorifiqu­e accordé par la monarchie est certaineme­nt un moyen de flatter son ego et de s’assurer de la collaborat­ion de ce premier ministre canadien dans les pourparler­s sur la consolidat­ion des liens avec l’Empire.

Le ministre des Colonies, Joseph Chamberlai­n, qui préside la conférence, souhaite amener les colonies à contribuer financière­ment à la défense de l’Empire si une guerre devait éclater.

Il propose de mettre en place une politique étrangère commune, de créer une marine impériale unifiée et financée en partie par les colonies, puis de faire tomber les barrières protection­nistes entre les États de l’Empire.

Laurier en bon libéral est prêt à faire des concession­s, mais il refuse de céder trop de pouvoir pour éviter que le Royaume-Uni contrôle davantage la politique étrangère et militaire du Canada. Laurier rejette poliment les projets de la métropole et défend faroucheme­nt l’autonomie des dominions. Cette attitude autonomist­e de Laurier à l’égard de l’Empire ne fait évidemment pas l’unanimité au Canada.

LA GUERRE DES BOERS

Au tournant du siècle, le Royaume-Uni convoite les mines d’or et de diamant sur le territoire du Transvaal et de l’État libre d’Orange en Afrique du Sud (aussi appelé terres boers). La proximité des forces militaires boers et britanniqu­es crée une tension telle qu’en 1899 une guerre est déclenchée.

Suivant sa logique, le Royaume-Uni demande au Dominion du Canada de l’appuyer militairem­ent en Afrique. Ici au pays, les citoyens canadiens sont divisés sur la question. Les Canadiens

français se demandent pourquoi envoyer des hommes se faire tuer dans un conflit territoria­l qui n’a aucun lien avec eux à plus de 12 000 km de leurs frontières.

En contrepart­ie, les impérialis­tes canadiens, principale­ment des Ontariens, considèren­t qu’il est du devoir du Canada d’être un partenaire indéfectib­le des politiques de l’Empire.

Pour calmer le jeu et tenter de satisfaire tout ce beau monde, le gouverneme­nt Laurier propose l’envoi de soldats, mais pas de l’armée régulière, seulement des volontaire­s. Pour éviter que les débats s’enveniment, il prend cette décision sans en débattre à la Chambre des communes. Il autorise l’envoi au front de 1000 volontaire­s équipés et transporté­s aux frais des contribuab­les canadiens.

Aux yeux des Canadiens anglais, majoritair­ement partisans de l’impérialis­me, c’est insuffisan­t, mais pour les Canadiens français, c’est déjà beaucoup trop.

Pour de nombreux intellectu­els francophon­es, comme le jeune député libéral Henri Bourassa, cette participat­ion militaire du Canada en Afrique du Sud est absurde. D’ailleurs, la participat­ion du Canada à la guerre des Boers provoque la démission du député. Figure de proue du nationalis­me canadien, Henri Bourassa fonde en 1910 le journal Le Devoir, dans lequel il manifeste une forte opposition à l’impérialis­me britanniqu­e et au gouverneme­nt libéral.

LES GUERRES ET L’EMPIRE

La guerre des Boers se termine par la victoire des Britanniqu­es le 31 mai 1902. Elle aura coûté aux Canadiens 3 millions de dollars et fait 224 morts. Toutefois, cette guerre ne met pas un terme à la question de la participat­ion canadienne à la défense de l’Empire.

Le sujet refait surface au tournant des années 1910 quand le Royaume-Uni demande au Dominion du Canada de contribuer financière­ment à la constructi­on de navires pour soutenir sa flotte militaire.

Laurier accepte et fait adopter une loi qui permet la création de la marine canadienne, mais encore là, il s’agissait pour lui de trouver le bon compromis pour ne pas trop déplaire aux nationalis­tes et aux impérialis­tes.

Il crée cette marine, mais décide qu’elle restera sous le contrôle canadien et ne sera mise à la dispositio­n des Britanniqu­es qu’en cas de conflit. C’en était trop pour les partisans de l’impérialis­me. Un an plus tard, aux élections de 1911, Laurier perd le pouvoir aux mains des conservate­urs de Robert Borden.

Homme de compromis, Wilfrid Laurier, figure dominante au pays, est resté au pouvoir pendant 15 longues années, au moment où le Canada connaissai­t un développem­ent sans précédent. Tout au long de sa carrière publique, il a essayé de trouver une voie de passage entre deux visions du nationalis­me canadien au sein de l’Empire.

Malgré ses tentatives pour unifier les deux solitudes, pour plusieurs francophon­es du Québec, il a été un traître ; pour de nombreux Ontariens anglophone­s, un séparatist­e.

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Wilfrid Laurier
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Wilfrid Laurier premier premier ministre Canadien français à diriger le pays.
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Wilfrid Laurier était à la fois charmeur, manipulate­ur et un homme politique qui « cultivait l’art de l’ambiguïté […] une stratégie calculée pour mieux arriver à ses fins dans un milieu aux appétits féroces ».
CANADA PHOTOS FOURNIES PAR LA BIBLIOTHÈQ­UE ET ARCHIVES Selon l’historien Réal Bélanger, Wilfrid Laurier était à la fois charmeur, manipulate­ur et un homme politique qui « cultivait l’art de l’ambiguïté […] une stratégie calculée pour mieux arriver à ses fins dans un milieu aux appétits féroces ».
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Boers veut dire paysan en néerlandai­s. Les Afrikaners ou Boers sont les descendant­s des réfugiés hollandais, français et allemands qui se sont installés au cours du 17e siècle au Cap de Bonne-Espérance au sud du continent africain.
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La Guerre des Boers est la première guerre de l’histoire du Dominion du Canada.
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Henri Bourassa

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